Sujet: La légende des mille grues Jeu 26 Mai 2016 - 9:27
LEGENDE DES MILLE GRUES PV Mei, Haruki
Il y avait des corbeilles remplies de pliages, des couleurs et des motifs répétitifs appelant le regard à s'y perdre. Depuis les étagères remplies de formes géométriques les plus angulaires aux plus basiques, des animaux de papiers prenaient vie, amenés à se côtoyer dans un univers où le tigre observait le poulpe et où la carpe bleue aurait pu avaler sa voisine la petite grue. C'était la véritable arche de Noé, celle qui n'avait jamais dévoilé les animaux imaginaires réfugiés dans la cale, celle qui n'avait jamais relaté l'histoire de l'ours jaune discutant avec le crabe transparent, l'hirondelle pourpre pépiant aux girafes mauve. Les couleurs étaient des sons et les sons devenaient une mélodie, il y avait un orchestre caché dans tous les recoins de la pièce et Haruki venait de le découvrir. Il passa les doigts un à un sur les animaux et sous cette caresse infime ces derniers chutaient de leur perchoir, s'écrasant d'une lenteur dramatique au sol dans un bruit délicat de papier contre le carrelage. Tous, tous tombèrent sans exception, et ce n'est qu'une fois à terre que Haruki jetait un regard autour de lui, avant de s'assoir au sol au milieu de cette foule de notes comme s'il pouvait diriger le chant des Origamis à l'effigie d'un chef d'orchestre. Il ne le pouvait pas, il n'avait pas la baguette mais juste des mains façonnées pour faire chanter un clavier.
Fasciné, il contemplait la grue plus que les autres et décidait finalement de la sélectionner pour la remettre d'aplomb devant lui, au sol. Il alignait ensuite les couleurs par couleurs, les tons par ton, redressant les animaux un à un dans un ordre qu'il était seul à concevoir. Le semi cercle était parfait, il s'étendait sur toute la pièce, sur les chaises et les tables, sur les étagères et le sol: les sons haut perchés plutôt devant, les plus grave, derrière, à droite les violoncelles, à gauche les violons. Les fleurs pliées s'oubliaient entre les animaux -est ce qu'une fleur était un animal?, on lui disait que non mais il pensait que si, tout ce qui vivait était à ses yeux des animaux.
Les rangées impeccables s'était formées tel un bataillon de soldats colorés, les papiers tenaient en place du plus petit au plus massif et l'étoile de ce système devenait celui qui créait cette harmonie, ou même la symphonie des couleurs et des sons. Haruki voulait être une étoile, une parmi les mille et une autres isolées constellant le ciel et c'est la réponse qu'il continuait à donner à chaque fois qu'on lui demandait ce qu'il voulait devenir plus tard. Plus tard, n'avait jamais assez de sens à ses yeux et plus tard n'existait tout simplement pas; il le comprenait mais voulait quand même devenir une étoile. Ses phalanges attrapaient la grue blanche et acceptaient le trou qui occupait désormais sa place dans la structure de sa symphonie. Il se fraya un passage en replaçant chacun des éléments lorsqu'il les dérangeait, et se dirigea vers la fenêtre pour déposer la grue sur la poignée: un oiseau devait toujours se rapprocher du ciel car dans leur volonté de devenir des astres brillants là haut, beaucoup échouaient et devenaient alors des points noirs mouvant dans les nuages dans l'espoir de se trouver un jour, une place entre leurs consœurs étincelantes. La grue était blanche, elle n'avait pas encore commencé son envol vers plus haut.
Seule Megumi Lei voyait cette logique, et seule Megumi continuait à lui plier des grues de papier sur le plafond de son appartement. Haruki se retourna finalement et posa ses énormes pupilles noires sur la nouvelle présence.
Sujet: Re: La légende des mille grues Jeu 26 Mai 2016 - 23:07
Deux minutes. Cela faisait maintenant deux minutes que je fixais ma montre et que j’attendais une seule chose ; la fin de cette journée de cours. On pouvait d’ores et déjà entendre le bruit des élèves impatients à l’étage d’au-dessus et cela avait pour conséquence de nous rendre tous fébriles. On aurait dit la veille des vacances scolaires. Je jetai un coup d’œil au professeur qui, voyant le comportement de ses élèves, se dépêchait alors de finir sa phrase et de clôturer son cours. Avant même que le bruit strident ne se fasse entendre, certains avaient pris de l’avance et avaient leurs affaires rangées dans leur sac pour n’avoir qu’une table dégagée devant eux. Inconsciemment je me mis à les copier et me stoppai aux dernières paroles de l’instructeur qui donnaient alors quelques dates importantes. Puis je me dirigeai vers le couloir. Une masse d’étudiants s’était alors formée devant les escaliers et avec elle un brouhaha incessant qui divergeait de l’esprit calme que renvoyait en temps normale Keimoo. Je les regardais pendant un moment me demandant comment ils comptaient tous descendre sans que quelques-uns d’entre eux ne se décident à céder le passage. Appuyée contre le mur, je soupirai puis coupai court à mon observation pour commencer à partir rapidement du côté opposé. Peut-être trop rapidement même, car je me fis interpeller par deux filles avec qui j’avais pris l’habitude de parler pendant les pauses entre deux cours.
« Tu rentres pas Mei ? »
Déjà bien lancée dans mon action, je fus prise de court et manquai de rentrer dans un malheureusement étudiant qui passait par là. Après m’être vite excusée et toujours dans l’optique de me dépêcher, je continuai à avancer tout en me retournant.[/color]
« Club ! Bye bye ! »
Je n’entendis que vaguement leur réponse, me hâtant déjà à poursuivre mon chemin. Je ne saurais pas l’expliquer mais j’avais une envie soudaine de ne pas passer par la case bibliothèque aujourd’hui et de me diriger tout de suite à l’étage réservés aux activités scolaires. J’avais pris mes marques dans les clubs que j’avais rejoint depuis le début de mes années universitaires, ils m’aidaient à m’ouvrir davantage aux autres et malgré que je ne maîtrisais pas encore toutes les méthodes (que ce soit pour l’ikebana ou les origamis) je me faisais un plaisir d’aider les autres membres lorsqu’ils faisaient face à quelques difficultés. Mais avec le beau temps affiché aujourd’hui, je me doutais bien qu’il était peu probable que je rencontre des adhérents. Il ne me fallut pas longtemps pour me faire à cette idée et dans ma tête je m’imaginais déjà avoir un petit moment pour moi, rien qu’à moi. Je me rappelai d’un travail que j’avais laissé en suspens dans le club d’origami et j’accélérai le pas. Je ne me rendais pas compte à quel point je me précipitais. De l’extérieur, les gens devaient se questionner sur cette silhouette vêtue d’une robe d’été blanche qui venait de leur passer sous les yeux. Mais j’avais simplement hâte d’atteindre la salle que je pensais qualifier bientôt de petit paradis terrestre. En effet, malgré sa taille moyenne, elle faisait face au terrain de sport et exposée plein sud, recevait la lumière du jour. De grandes fenêtres voilées par de fins rideaux de cotons donnaient un aspect tranquille et réfutait toute envie de la quitter. Et c’est devant elle que j’arrivais. Sans attendre une seule seconde, je tirai la porte coulissante et m’apprêtais à pénétrer à l’intérieur.
La feuille de papier glisse en chantant sous tes doigts Gardienne de tes secrets Elle raconte tes histoires
Au lieu de me retrouver face à un espace vide, une scène que je ne pus expliquer clairement se dévoila devant mes yeux. Ma main toujours posée sur la porte, je n’arrivai pas à faire un pas, ce pas qui m’aurait entraîné dans cette nouvelle atmosphère qui englobait toute la pièce. Par où commencer. Où mes pupilles devaient-elles d’abord se poser. Je ne le savais pas. Je fus pris d’un sentiment étrange, venu d’un ailleurs et qui me fit plonger dans un silence réconfortant. C’était comme si je n’arrivais plus à penser. Mes paupières se fermèrent et cela eu pour effet de me faire sortir de cet état léthargique. J’en avais presque oublié de respirer. Mon regard parcouru la pièce. Les origamis n’étaient plus à leur place, figés dans le temps. Ils étaient désormais à même le sol, disposés d’une certaine manière. Comme si pris d’un élan, on avait décidé de leur offrir leur liberté. Mais tout ceci sonna trop parfaitement pour que je puisse croire qu’on les avait simplement fait tomber. Non tout avait un sens, tout était bien… orchestré ? Et sans aucune raison, une frayeur s’éveilla en moi qui me rappela aussitôt que je n’étais pas seule dans la pièce. Il était là et il me regardait déjà.
Décris tes aventures Et joue tes mélodies
Je ne pus réprimer un sourire qui se voulait aussi doux et rassurant que la chaleur qui nous enveloppait. J’aurais pu m’arrêter sur son apparence, j’aurais pu sourciller à la vue de ses dessins sur le corps, à la vue de ses morceaux métalliques qui agrafaient sa chaire. Il était dans ma nature de me méfier des personnes que je n’avais pas l’habitude de côtoyer et pourtant, c’était bizarre, je ne ressentais que de la sympathie et même une forme de curiosité. Il me paraissait pleins de choses. Mystérieux, intriguant, calme, poétique comme tout…ça. Je me sentais une nouvelle fois partir dans mes pensées et quitter l’instant présent. Je me repris aussitôt et remarquai alors la grue qui avait quitter son nid de papier pour terminer son envol sur la poignée de la fenêtre. C’est avec des yeux amusés que je la fixais. Elle était un des premiers origamis que j’avais fait en entrant au club. Oui, c’était la mienne, j’avais plié un peu trop l’aile droite et c’est ce qui me permit de la reconnaître de suite. Je fermai délicatement la pièce. Cette action marqua mon entrée définitive dans un monde qui ne m’appartenait plus. Je m’avançai, mes mains alors jointes derrière le dos.
« Tu as bien choisis sa place, face au soleil il n’y a rien de plus agréable.» commençais-je en indiquant du menton cette fameuse grue de papier. « Mais elle n’est pas encore prête à voler, ce serait dommage de la précipiter dans le vide. »
Je ne savais pas vraiment ce que je racontais, je n’étais pas du genre à jouer avec les mots mais il me donnait envie d’essayer. Même si j’étais à l’aise, je n’osais pas m’approcher plus pour le moment.
« Je te la donne si tu veux, je pourrai toujours en refaire d’autre. »
Puis je baissai la tête et m’accroupis devant cet arc-en-ciel de papier étalé suivant une harmonie. Mais ma robe était trop courte et mes joues légèrement rouges. Pour éviter tout autre embarra je me mis à genoux. Dans ma précipitation une fleur avait légèrement bougé. Je m’empressai de lui réattribuer sa position initiale. J’avais comme cette impression qu’il ne fallait rien perturber.
« Cette mise en scène, que veux-tu-...pourquoi ? » disais-je, cette question me brûlait les lèvres depuis mon arrivée et il y en avait tant d’autres. Tant d’interrogations que j’essayais tant bien que mal de faire taire, mais mon esprit commençait d’ores et déjà à s’embrouiller.
Mais je la vois s’enflammer si facilement
Spoiler:
Très joli clip, très joli morceau. Merci pour la découverte. :)
Dernière édition par Mei Shiozaki le Sam 16 Juil 2016 - 22:12, édité 2 fois
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Sujet: Re: La légende des mille grues Lun 30 Mai 2016 - 7:37
Distrait, Haruki laissait les mots de la fille se faufiler dans son ouïe. Il écoutait cette voix venue s'ajouter à l'ensemble, elle qui se surélevait au dessus de centaines de couleurs, de milliers de plissures et qui déplaçait sur son passage une autre voix, celle chantée par la fleur blanche, -blanc cassé. Et tandis que le silence retombait, il décidait de poser l'origami consciencieusement, du bout des doigts sur le plat de son autre main, pour le maintenir debout aussi délicatement que s'il prenait soin d'un oiseau à l'aile blessée. Le soleil par la fenêtre découpait sa silhouette à contre jour, Haruki paraissait encore plus sombre que tous les jours et elle, la fille à la robe blanche, paraissait plus claire que jamais. Dans cette pièce tenue close résonnait maintenant tous les spectres de couleurs, depuis le blanc jusqu'au noir et depuis le noir jusqu'au au blanc, pour offrir une harmonie des plus agréables. Captivé, transi, Haruki affectionnait ces ondes émanant des couleurs et il inclina la tête très légèrement d'un côté pour mieux discerner le sens de la voix solo.
- Tu les entends ?
Il se retournait complètement, levait un index et pointait le doigt sur certaines parties précise du demi cercle autour de la fille.
- ... Sol est rouge. Do, bleu.
Il s'exprimait lentement. Entre un sol et un do se formait une quinte et avec les autres couleurs, il y percevait un accord de dominante vers une tonique, à l'état fondamental. C'était puissant, la fin d'un morceau, la raison d'entamer une partition. L'accord résonnait à en faire trembler les parois de ses perceptions et s'achevait ainsi sur une cadence parfaite. Parfaite était une étrange notion mais Haruki Lei voulait bien croire à la perfection. La perfection, il l'effleurait du bout des doigts tous les jours lorsque son piano accordé enchaînait les cadences harmoniques une à une, sur tous les tons, pour entraîner ses mains. C'était effleurer des valeurs absolues, partant de la première touche d'épicéa pour remonter jusqu'à la dernière. Il attrapa doucement la grue par la queue et s'assit au sol en repliant les jambes vers lui. Étrangement, c'était la place qu'il lui restait, pour faire ainsi face à l'arc de cercle à l'envers et à la nouvelle arrivante, pour compléter les contrastes des couleurs infinies.
Il posait l'oiseau de papier au sol et observait tranquillement la fille à la robe blanche. Lyn était la fille aux cheveux crépuscule, ceux de Cammy, flamboyants. Il se souvenait des images ainsi mais la plupart du temps c'est des voix, qu'il se souvenait.
- Je ne sais pas faire les grues.
Il ne savait pas plier tout court. Mais il y en avait des centaines suspendues au plafond, chez lui. Celle qui se tenait là, finirait sur le rebord de sa fenêtre entre deux plantes.
- Je rangerai avant de partir.
Il contempla les étagères vidées de leur raison d'être.
Sujet: Re: La légende des mille grues Mar 31 Mai 2016 - 23:04
Alors que je finissais de poser ma question, je sentis le silence regagner la pièce. Tête baissée, mon regard posé sur les petites figures de papiers, je repensais instinctivement aux paroles que j’eus prononcées et ressenti alors une légère peur. Peut-être que mon intervention fut trop maladroite. J’avais dans l’idée de reformuler mes dires mais un simple geste accompagnée d’une réponse me coupèrent dans ma lancée. Mes yeux se relevèrent, trop rapidement même pour cacher mon inquiétude qui s’était envolée tout comme le silence s’était brisée. A dire vrai, son acte m’avait prise de court, si je ne m’étais pas reprise j’aurais pu me retrouver dans le flou total et ne rien comprendre à ce qu’il venait de me dire. Il me fit désormais face et je pus voir à quoi il ressemblait. Très vite mes pupilles suivirent son index qui vint indiquer certains origamis se trouvant devant moi. Je ne savais pas quoi faire autre que de me laisser guider.
Il parlait de Sol et de Do. Associait les sons aux couleurs. Je compris la raison de cette mise en scène mais je me sentais perdue. Moi je n’y connaissais rien à tout ceci. Si certaines choses étaient claires d’autres restaient encore dans l’obscurité. Toutefois je ne pouvais m’arrêter de fixer ces mêmes pliages puis tout l’arc de cercle. J’eus un sourire au coin. On pouvait aimer un art comme celui de la musique, ils étaient d’ailleurs nombreux à Keimoo à partager ce sentiment, mais selon moi peu pouvait prétendre en être autant passionnés. Ce qu’il venait de dire, la manière dont il avait parlé et puis ce qui se trouvait juste là. Tout était une preuve. La preuve que c’était bien plus qu’un hobby. Alors que je sortis de ma réflexion, je remarquai qu’il n’était plus debout mais assis devant moi. Et je pris également conscience que je ne lui avais même pas répondu. Ce n’était pas plus mal après tout. Je sentis cependant ses yeux me regarder et en un instant je ne savais plus où me mettre. Les miens s’arrêtèrent sur son apparence menue et sa peau pâle qui manquait de se confondre avec la couleur de ma robe. Je retins de nouvelles rougeurs d’apparaître sur mes pommettes et me forçai à m’habituer à cette proximité. Sa voix résonna.
Plie mille grues et ton vœu n’en sera plus un[/i] était sûrement la phrase la plus prononcé aux enfants du Japon. Cela raisonnait même comme une activité incontournable et j’y croyais si bien que j’en avais plié des centaines mais sans réussir à atteindre le millième. Le manque de motivation eu raison de moi et j’avais tout cessé. Un travail inachevé qui poussa ma mère à m’encourager par tous les moyens à reprendre le pliage. Alors je fus surprise d’apprendre qu’il ne savait pas en faire.
« Je t’aiderai à ranger mais avant ça… » et je me levai avec précaution pour me diriger vers l’une des commodes de la pièce.
Arrivée à destination, je laissais parcourir mes doigts le long des diverses poignées des tiroirs. J’hésitais sur deux ou trois. Ma mémoire me jouait encore des tours et je réfléchis quelques secondes, un doigt posé sur le menton. Tout me revint en tête et je tirai celui du bas. Des feuilles de toutes les couleurs y étaient rangées mais ne sachant pas vraiment lesquelles choisir j’en pris une de chaque. Je n’oubliais pas de le refermer et me rassis cette fois-ci à côté de l’étudiant.
« Laisse-moi t’apprendre le pliage des grues, tu verras c’est très simple. » lui dis-je, d’un air déterminé et d’une voix se voulant amicale. « Et puis tu pourras en même temps m’en apprendre plus sur cet orchestre de couleur. Tiens, quelle note émettent ceux en vert ? »
Sortir de certaines zones d’ombre était tout ce dont j’avais envie et je laissais ma curiosité prendre le dessus. J’aurais pu lui prêter un livre, lui indiquer la page et le laisser suivre les instructions mais je m’étais dit que lui montrer en temps réel l’aiderait plus. Je piochai dans le tas de feuilles, en tira une rouge pour lui et une noire pour moi. Tout en le lui tendant je glissai avec un léger sourire, un petit « Un peu de couleur pour aller avec ce noir ». Puis pour éviter de repenser à cette dernière parole et de commencer à la regretter, je m’affairai au début du pliage. Pour lui transmettre les instructions, j’employai un ton distinct et je pris également soin d’accorder mon rythme au sien.
Le rire des étudiants qui profitaient du beau temps se fit entendre et je compris que si je les avais tous suivi, je n’aurais alors pas fait cette nouvelle rencontre et ne me serais pas rendu utile. Je lui indiquai des fois du bout des doigts la manière de procéder, revins sur ma feuille puis m’arrêtai pour jeter un coup d’œil de son côté, histoire de voir comment il s’y prenait. Pendant ce court instant, je me rendis compte à quel point j’étais heureuse de pouvoir l’aider, c’était aussi ce pourquoi je mettais inscrite à tous ces clubs. Et cette atmosphère qui s’était installée me permettait de faire face à ma timidité qui s’accompagnait bien trop souvent d’une maladresse dont je me passerais bien. Mes yeux bruns suivirent mes mains glisser sur le papier.
« Je me débrouille en origamis alors si tu veux je peux t’en montrer d’autres. »
J’avais des tas d’autres formes en tête, animaux, fleurs, bateau. Je pouvais même lui apprendre les notes de musique et il me dessinera alors une partition en papier.
« Au fait, je suis Mei. »
Ma grue noire vint rejoindre l’arc de couleur et j’espérais au fond de moi qu’elle réussirait à s’accorder au reste.
Dernière édition par Mei Shiozaki le Sam 16 Juil 2016 - 16:19, édité 1 fois
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Sujet: Re: La légende des mille grues Dim 12 Juin 2016 - 5:46
Lointain, Haruki laissait la voix s'immiscer entre les voix de papiers colorés. Il était distrait, il était absent, et il écoutait les feuilles frottées l'une contre l'autre, chaque craquelure et chaque plissement, chaque torsion et chaque virevolte contre le sol. Entre les doigts de la fille, papillonnait le carré de papier pour lentement devenir les ailes noires d'une grue, tandis que l'autre, rouge, restait à terre, intacte. Haruki n'y touchait pas et se contentait de se perdre dans les froissements délicats de l'origami.
D'allégresse se gonflaient les rideaux pendant que la brise ramenait les rires de l'extérieur. La fenêtre s'était elle ouverte ou n'avait-elle été jamais fermée...? Et Mei, c'est ainsi qu'elle disait s'appeler, surveillait ses gestes et son silence, cachant parfois son embarras. Et du bout des doigts Haruki fit glisser le papier pourpre vers elle.
-Si.
Le vert était un Si, et Lei répondait parfois à une question bien après qu'elle le lui soit posée. On en perdait le fil de la discussion mais des discussions, il n'en tenait jamais vraiment. La distance avait tout à coup disparu et il s'était retrouvé là, à regarder des mains de Mei créer, étirer le corps de la grue avant de la déposer dans le gigantesque arc en cercle. La grue blanche à côté de lui, la grue noire plus loin, Haruki se laissait emporter par le contraste des tons, tout comme leur ombre géométrique contre la lumière tombante du jour et les éclats de rire en contrebas. On eut dit qu'aucun des éléments n'avait été placé là par hasard, adroitement calculé pour maintenir une harmonie derrière le faux silence que reflétait ce spectacle. C'était une atmosphère apaisante, rassurante, et dans sa tête, Haruki avait l'impression récurrente d'être balancé comme s'il était sur un fauteuil à bascule ou un hamac; il avait cessé ce mouvement doux de manière visible: on lui avait appris à se tenir et aujourd'hui il se tenait.
Il leva les yeux vers la fenêtre.
-Mei.
Le nom de Mei s'infiltrait alors entre ses lèvres comme s'il en prenait connaissance après l'avoir entendu. Il ne la regardait pas et soulevait la grue noire par la queue jusqu'à hauteur de ses yeux pour l'étudier sous la lumière du jour, ses lignes impeccables, ses croisements de plissures, ses pointes sans défaut. Il fit ensuite voler l'oiseau comme s'il jouait avec en traçant lentement dans les airs, les kanas de son prénom ha-ru-ki. Il aurait pu rester des heures ainsi jusqu'à ce que la nuit prenne le pas sur le soleil. Mais son autre main saisit tout à coup le bord du carré rouge et dans un froissement textile il se leva et déjà sortait de la pièce. Dans l'origami orchestrale, les rangées de couleurs demeuraient, les nuances chantaient mais la grue blanche et la grue noire avaient disparu.
-Le soleil se couche.
Et avant de s'engouffrer dans le couloir, Haruki avait levé la feuille d'origami pourpre. Ce faisant, il invitait Mei à le suivre mais ne l'attendait pas, empruntait l'ascension d'une série de marche et ne se retournait pas. Il n'y avait que deux étages dans le bâtiment des clubs et il arriva jusqu'au toit plat en repoussant la porte lourde.
Sujet: Re: La légende des mille grues Mar 14 Juin 2016 - 17:41
La réponse à ma question me parvint aux oreilles alors que je prenais soin de ne pas froisser l’aile de ma grue, histoire de lui éviter le même sort qu’à une de ses congénères. Même si je ne comprenais pas grand-chose à toutes ces choses liées à la musique, j’appréciais apprendre tout comme j’appréciais le fait qu’il ne tienne pas rigueur de mon manque de connaissances. J’acquiesçai légèrement à plusieurs reprises pour lui montrer mon intérêt vis-à-vis de ses paroles. Je gardais précieusement ces informations dans un coin de ma tête et me demandais si cela ne m’aidait pas à mieux le cerner. Jusqu’à maintenant je ne mettais pas pencher sur le sujet, mais il était vrai que je ne connaissais rien de lui, mise à part ce que je voyais et ce que je réussissais à interpréter, exercice auquel je me prêtais pour la première fois. Néanmoins il me semblait que jusqu’à maintenant cela tendait plus vers un succès qu’un échec et j’en fus ravie.
Silence. Silencieux dans les gestes. Silencieux jusqu’aux mots. Ils se perdaient dans cette apaisante atmosphère qu’on ne voulait surtout pas perturber. Et elle ne se laissait pas perturber. C’était agréable, je pouvais rester des heures ici. Et le soleil qui s’échappait me fit comprendre que j’avais bel et bien perdu le fil du temps. Mes yeux ne se posèrent que maintenant sur la feuille rouge que je lui avais auparavant donnée. Je constatai alors qu’elle n’avait pas pris la forme de grue comme je l’aurais espéré et était toujours dans celle d’origine, carrée. Je la fixais, interdite. Je crus alors que mes explications n’avaient pas été assez claires et que j’eusse été au final trop rapide. Devais-je la commencer et le laisser regarder ? Ou devais-je peut-être reprendre tout du début, mais à un rythme plus lent ? C’est dans ce moment de balancement que je réentendis ce son, le seul qui m’était familier. Mon nom, mais pas l’ombre d’une question à mon égard, il l’avait simplement prononcé et j’avais automatiquement relevé la tête laissant de côté ce papier qui avait cette couleur dont le soleil se parait à la fin de journée. Je suivais ses gestes avec comme un air de déjà-vu. D’un mouvement il prie possession de la grue que j’avais réussis à intégrer dans l’arc de cercle. Je ne savais quoi dire et je sentais qu’il n’y avait en fait rien à dire. Je me rapprochais d’autant plus pour voir ce qu’il comptait en faire et je vis la grue retrouver son rôle d’origine, celui d’oiseau. Il se mit à écrire quelque chose et je me concentrai sur les katakanas. « Au fait, je suis Mei. » voilà ce que je lui avais dit, sans même lui retourner la question. Je ne savais pas si je m’attendais à une réponse ou si j’avais juste eu ce besoin de décliner mon identité. J’espérais au fond de moi tisser un lien. Et alors que ce fil était en suspens, il trouva une attache en ses caractères éphémères que je lu du bout des lèvres sans émettre le moindre son.
Haruki. Encore un mystère et une découverte pour moi. Le soleil, sa lumière dictés par le Haru et la vie et son éclat donnés par le Ki. A mes yeux ses significations étaient aussi répondues que ce nom m’était peu de fois parvenu aux oreilles. Le bruit de doigts qui vinrent saisir un papier m’extra de ma contemplation des kanas qui avaient d’ores et déjà disparus. Il se leva. Haruki se leva, et moi je le regardai avec un air interrogatif, encore une fois. Il n’était plus là quand je m’étais relevé plus rapidement que je ne l’aurais imaginé. Mes jambes étaient engourdies et je dû presque m’arrêter. Et il était déjà loin quand j’entendais finalement sa dernière phrase, quand je vis ce même papier se confondant alors avec la lumière de Haru qui termine le jour et appelle la nuit. Même dans ma précipitation je fis attention à ne pas défaire l’orchestre désormais silencieux à son tour à la vue de ses deux seuls spectateurs quittant la salle. J’avais envie de lui demander où il allait, de même presque lui crier de m’attendre, mais au final me voilà trop occupée par l’envie de le rattraper et de ne surtout pas le perdre de vue. Il n’eut pas besoin de prononcer quoique ce soit, mes pas le suivaient et le raisonnement des siens me guidait dans un couloir inhabituellement vide. Et je compris.
« Attends, je ne pense pas qu’on ait le droit d’aller là-haut. »
C'était trop tard, le dernier obstacle était levé et je ralentis. Je doutais avant de monter les marches restantes. Pour me rassurer je me disais qu’il n’y avait aucun individu aux alentours, personne pour nous dénoncer et personne pour nous réprimander. Je fermais la porte comme je fermais les yeux sur mes dernières incertitudes. La vue était magnifique et sa silhouette noire contrastait avec les tons du ciel. Bientôt ils ne feront qu’un. Mon visage se crispa à la venue de quelques frissons que je tentais de réprimer en me frottant les bras.
« Haruki. »
J'ai prononcé à mon tour son nom, loin d’être sûr qu’il m’ait entendu je m’avançais. Je voulais connaître la raison du pourquoi nous étions ici, mais mon attention se dirigea vers ce blanc, ce noir et encore ce pourpre.
« Ça n’aboutira à rien alors que comptes-tu faire maintenant ? »
Ma voix sonnait presque comme celle d’un adulte ayant surpris un enfant devant le fait accompli. Je soupirai, je n’arrivais pas à mettre le doigt sur le sentiment qui m’habitait à cet instant-là, tout semblait imprévisible. J’avais beau comprendre ces actes, je ne pouvais les prédire et cela me renvoyait à ce genre de situation que j’essayais tant bien que mal d’éviter. Je réduisais un peu plus la distance qui s’était installée entre nous. Je lui pris des mains ce carré de feuille. Que comptais-tu réellement faire avec ça, Haruki. Le bord de fenêtre de la classe ne te suffisait pas, tu rêvais de grandeur et tu as eu ce que tu voulais. Mais tout ça manque de sens. Du moins pour moi. Et peut-être que pour toi tout était très clair, mais tu ne parlais pas ou que très vaguement alors ne m’en veux pas si je ne saisissais pas tout. Ces phrases retentissaient si fortement que je pensais les avoir criées. Je n’osais les lui dire. Je voulais qu’à travers ce geste il comprenne quelque chose, peut-être était-il plus doué que je ne l’étais pour lire dans les pensées des autres.
Je m’assis à proximité d’Haruki et tant pis si ma robe ne sera plus aussi blanche qu’avant. Je laisse mes doigts débuter le pliage qu’ils connaissent par cœur.
Dernière édition par Mei Shiozaki le Sam 16 Juil 2016 - 16:21, édité 1 fois
Invité Invité
Sujet: Re: La légende des mille grues Dim 10 Juil 2016 - 8:05
Le temps de quelques rayons de soleil pour éclairer les marches et le visage de Mei, Haruki écoutait, décomposait et se taisait. Elle l'avait rejoint malgré elle, et parce que le droit était une notion que Haruki ne définissait pas, repousser la porte du dernier étage ne lui faisait ni chaud ni froid. Mei l'appelait, son allure était une incertitude, son expression l'ombre d'une hésitation, mais elle n'atteignait pas le calme constant de Haruki. Le soleil brillait à s'en faire mal et ses rayons chauds se mourraient dans le ciel, et entre les cils de ses paupières plissées, il se plaisait à brouiller sa vue dans le bokeh du crépuscule. À la mention de son nom, il s'était retourné, doucement. Pourquoi tout devait aboutir à un autre tout, Haruki l'ignorait, comme les lignes d'un origami qui devaient donner une cigogne. Ces questions là, il ne se les posaient pas, elles ne venaient jamais envahir sa tête. Distrait, il regardait longuement Mei puis tournait la tête vers un astre en déclin et revenait finalement de nouveau sur l'étudiante, pliant les jambes à son tour, ne sachant opter pour la vue d'une splendeur ou la création d'une œuvre. L'une comme l'autre lui semblait inconditionnelle et si un choix il y avait eu à faire, il ne l'avait pas vu. Accroupi, il avait tendu le bras et étudiait de la pulpe de l'index les frissons désormais absents du bras de la fille, il passait plusieurs fois ce passage juste au dessus de son épiderme sans jamais l'effleurer. Elle avait tout à l'heure réprimé ces frémissements.
-Est ce qu'il fait froid ?
Insaisissable, on lui accordait souvent ce caractère évanescent; les buts et aboutissements qu'il pouvait se donner -s'il en avait réellement, n'avaient de sens que pour ceux qui avaient besoin d'en établir un. Cessant la promenade imperceptible de ses phalanges, il saisit le papier rouge presque achevé et le porta à hauteur de ces yeux. Il n'y avait ni oiseau ni formes préétablies mais la géométrie des angles contre la lumière chaude derrière lui était plaisante à observer. Haruki se détournait brusquement de la tentation de se figer dans l'espace et de s'oublier ainsi dans le temps, il se levait pour aller se jucher sur le bord du toit et ressentir davantage l'impact de la brise contre son corps, face à Mei, dos au vide. A ce moment il aurait pu se laisser basculer en arrière sans remords, pour la simple satisfaction de laisser l'air glisser sur sa peau et envelopper son être. Dans une autre existence, si elle existait réellement, Haruki ne devait pas renaître humain. Ses doigts étirèrent chaque côté des pliures impeccables pour donner naissance à deux ailes identiques, complétant ainsi la grue, qu'il redonnait à Mei.
-Est ce que la grue saigne parce qu'elle est rouge?
Est ce qu'elle se meurt comme la petite fille qui n'a pas eu le temps de confectionner des milles grues avant de périr.
Haruki tourna son regard vers le soleil. On lui avait dit que le fixer ainsi abimait les yeux mais on avait beau faire, il ne pouvait s'en empêcher. Il imprimait ce paysage dans sa rétine tandis que l'image des grues noires et blanches venait se rajouter à la collection de son appartement. Elles ne seraient pourtant pas au plafond comme toutes les autres, il les poseraient au dessus du couvercle de son piano.
-C'est une variation, c'est tous les jours différent.
De nouveau, il recomposait l'image du ciel coloré. Immobile, il finit par fixer la porte en entendant des pas résonner.
Sujet: Re: La légende des mille grues Dim 17 Juil 2016 - 22:23
Mes doigts parcourant le papier, mes doigts reproduisant ces plis. Rien de tout ça n’était vraiment naturel, cela ne relevait plus que d’une mécanique. Une mécanique qui me coupa du reste. Celle qui, pendant un instant, constituait une bulle autour de moi et me faisait oublier où je suis, avec qui je suis et pourquoi je faisais cela. Pour autant que j’en avais l’habitude, je sentais en moi un sentiment de frustration. Frustrée de ce papier qui se tord sous mes doigts, frustrée de l’oiseau qui allait prendre vie pour la énième fois. J’en venais à soupirer alors que j’arrivais au milieu de ma création. Le silence se brisait quelques fois au même rythme que le papier perdait de sa forme originelle. Et si intérieurement je perdais de mon calme, mes mains en étaient immunisées comme si j’arrivais à faire la part des choses. Mais si j’en étais arrivé là c’est parce que je lui avais arraché cette feuille rouge sous l’effet de la colère et que j’avais alors entrepris le pliage de cet origami. Quelle ironie. Aussi n’aurais-je pas été surpris si Haruki avait décidé de me demander ce qu’il me prenait, là tout d’un coup ou s’il avait décidé de m’ignorer. C’est ce que j’aurais fait si j’étais à sa place. Et qu’aurait-il fait s’il était à la mienne. La manière dont il parlait, dont il abordait les choses, ce qu’il dégageait ; tout reflétait un silence et tout amenait à des dizaines de questions. Alors oui je me demandais ce qu’il aurait fait tout en sachant que je ne pouvais pas le deviner car je ne savais pas le deviner, lui.
Je fermai les yeux un instant et je sentis la chaleur sur mon visage. Ce n’était pas agréable en temps normale, mais rien ne me semblait l’être en ce moment même. Et mes phalanges se stoppèrent net quand je le sentis proche de moi. Je le fixais du coin de l’œil. Un geste, aussi discret et insignifiant soit-il. Je ne cherchais plus à comprendre, j’observais simplement. Je restais figée, je n’avais même pas tenté de reculer. Mes sens ne répondaient plus. J’étais là, assise, la grue inachevée entre mes doigts fins. Ils ne la tenaient que faiblement maintenant et un coup de vent aurait vite fait de la faire s’envoler. J’attendais, tel une petite fille prête à se faire gronder, j’attendais. Pas de réprimandes. Pas de remarques. Juste une question et elle n’était pas de ce genre que j’avais imaginé. Je me sentis allégée d’un poids et j’étais aussi surprise par ce soulagement que par son interrogation. Peut-être était-ce pour lui une question comme une autre. Une de ses questions. Peut-être qu’il n’attendait même pas à une réponse de ma part. Il m’en avait déjà posé une précédemment. Tu les entends ?, je n’avais pas su quoi dire en retour et c’était sûrement rhétorique au final. Or quelque chose m’interpellait, un sentiment étrange naquit en moi. Il m’avait demandé ça à moi. Et c’était complètement idiot de ma part puisque dans une discussion il était évident qu’on s’intéressait à ce que pense l’autre et à ce qu’il ressent. Toutefois, je n’avais jamais ressenti cette sensation jusqu’à présent. L’impression d’exister dans la conversation. Plus de ces phrases hors de portées pour moi. Faisait-il froid, ici. J’écarquillai les yeux.
« Est-ce qu’il fait froid ? répétais-je. Veux-tu savoir s’il fait froid ou veux-tu savoir si j’ai froid. »
Et j’insistais volontairement sur les pronoms personnels. Mon regard fixant le sien, je repris.
« Demandes le moi alors, demandes moi ‘Est-ce que tu as froid ?’. »
Très vite mes mains furent libérées de l’origami. Très vite mes yeux le suivirent et je me mis à paniquer lorsque je le sentis si proche du vide. Je me levai aussitôt et fus prise de vertiges qui m’arrêta dans ma course alors qu’Haruki lui était toujours calme. Qu’est-ce qui pourrait te faire perdre cet état de quiétude. Et je subissais mon rôle de spectatrice tandis qu’il complétait le pliage. Une fois fini il me retendit l’oiseau et je le serrais fort contre ma poitrine.
« Pourquoi saignerait-elle, elle n’est pas vivante, mais toi si. Je fis quelques pas en sa direction, histoire de m’assurer qu’il était toujours là avec moi et qu’il n’était pas habiter par cette tentation. Ne t’approche plus jamais comme ça du bord. »
Je respirais profondément, je desserrai mon emprise et une main devant les yeux, je fis face à l’astre. Ce fut bref. Haruki regardait la porte et j’en fis de même. Du bruit. J’aurais dû le prévoir. Un plan de secours, une excuse, il me fallait quelque chose et tout de suite. Et pendant que je réfléchissais, je sentais les pas se rapprocher et je vis d’ores et déjà la porte s’ouvrir. Non c’était trop tard. Je me retournai. Il n’y avait pas d’autres choix que de se cacher. Moi-même je n’étais pas convaincu par cette idée, mais nous manquions de temps pour réfléchir sur les autres possibilités qui s’offraient à nous. Je laissais tomber les explications, il devait simplement me suivre. Tout en accélérant le pas, je lui pris le poignet. Il ne fallait malheureusement pas trainer. Cette mini-course me parut interminable. Et c’est arrivés à l’endroit que j’avais repéré un peu plus tôt, que je me permis de souffler.
« Désolée, mais… »
Toujours légèrement essoufflée, je peinais à me faire comprendre. Je m’écartai de lui puis posais une main sur ma poitrine espérant calmer mon rythme cardiaque par cet unique geste. Dos au mur, Haruki à ma droite, nous étions désormais à l’ombre. La porte s’ouvrit. Je retins ma respiration.
« Il y a quelqu’un ? » fit une voix grave.
C’était l’un des concierges qui devait sûrement faire sa ronde. Il devait être déjà bien tard alors. Sans le voir je sentais son corps se baladait un peu partout. Pas ici me dis-je. Allez, il n’y a personne, pars. Je sentais mon cœur battre dans mes oreilles. Je l’imaginais se rapprocher de plus en plus de nous et nous devrions alors trouver une bonne excuse, s’il en existait une. Au fond de moi je savais que ce n’était pas le cas et enfreindre les règles n’était clairement pas mon genre. Existait-il vraiment des gens qui adoraient ça ? Ma main droite agrippait fermement ma robe.
Un énième silence.
Le bruit familier de pas. Puis celui de la porte. Mais pas celui d’une serrure. Je pus enfin respirer à nouveau. On avait eu de la chance pour cette fois. Je me tournai enfin vers lui. Secouée par cet évènement inédit, je ne pus afficher un sourire triomphal comme on était censés le faire dans ce genre de situation, ainsi je me contentais de le fixer. Je remarquais qu’il n’est pas si grand que ça, que sa peau était plus pâle que la mienne et mes yeux se perdirent sur l’inscription tatouée sur son cou et dont la signification m’était totalement inconnue.
« J’imagine que cette petite aventure ne te fait rien. Comment ça se fait que tu sois toujours aussi calme ? Qu’est-ce qui serait susceptible de te perturber Haruki, je me le demande. »
Ce n’était pas tout. Je voulais savoir bien plus de choses. C’était encore un inconnu pour moi et je redoutais que l’on se quitte de la même manière qu’on s’était rencontré ; par inadvertance, en ne sachant rien de l’autre et en ne comptant que sur le hasard pour se revoir.
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Sujet: Re: La légende des mille grues Lun 18 Juil 2016 - 21:32
"Est-ce qu’il fait froid ? Veux-tu savoir s’il fait froid ou veux-tu savoir si j’ai froid." Face au regard soudain de Mei, Haruki avait reculé comme s'il s'y était brûlé les doigts, et avait dévisagé son visage insistant, puis le coin de ses lèvres. Le néant de ses yeux s'étaient immédiatement détournés de ceux de la fille pour ne plus avoir à les croiser, il avait saisi l'origami pourpre pour y déverser son attention. Enfant, les yeux des gens le pétrifiaient parce qu'on l'y capturait et s'il lui arrivait de détailler les gens, il ne soutenait jamais longtemps leur regard. L'hydrogel sombre couvrant l'intégralité de son regard camouflait cette incapacité et à moins de donner une claire direction à son regard, on ne savait jamais exactement ce qu'il fixait, derrière les ténèbres immobiles et artificielles de ses iris. A travers les formes géométriques de la future grue, il avait murmuré, avant de filer plus loin, comme un oiseau qui change de perchoir:
-Est-ce que tu as froid.
-
Le vent caressait doucereusement son être tandis que les paroles de Mei ressemblaient étrangement à ceux de Megumi quand elle était en proie d'inquiétude et d'une angoisse que lui ne percevait pas à sa juste valeur: intrépide ou idiot, la peur, une notion intouchable, lui restait impalpable et n'avait à ses yeux, que la saveur d'une incompréhension. On lui avait dit que l'inconnu faisait peur, et la peur il avait toujours tenté de la sentir pour décrire cet inconnu. On le tirait pas à bout de bras. Haruki se laissait entraîner en accélérant ses pas silencieux pour les calquer sur les rythmes de cette dernière, valse de pas et tonnerre de battements, qui n'appartenaient pas à sa myocarde, mais qu'il imaginait sous une tension que Mei était la seule à se créer. Il ne se leva pas pour répondre à la question de la voix grave, le concierge sourd et aveugle des interdits de ses étudiants. Sa respiration restait aussi calme que lorsque la brise prenait connaissance se son entité délicatement posée sur le bord du toit, il replia les jambes et s'asseyait contre le mur, regardant la main crispée de la fille sur sa robe.
La tension disparut lorsque la porte se refermait, l'accalmie du garçon gagnait d'un coup Mei, sincèrement soulagée d'avoir échappé à un homme qui avait pour simple rôle celui de veiller au la sécurité de l'école. Qu'y avait il de mal à cela et qu'avait ils à affronter s'ils les avaient pris là sur le toit, à plier des grues de papier ? Haruki Lei ne concevait ni les menaces ni la nature des conséquences que ses actes pouvaient engendrer. Quelques heures enfermées en salle de permanence ou à nettoyer les classes, étaient elles un tord ? Un avertissement pour sa scolarité n'avait pas d'empreinte sur l'échelle d'une vie et si Lei ne savait et ne saurait jamais regarder à long terme, les concepts basiques de son existence ne semblait pas le perturber outre mesure. Et c'était justement sur ce détachement que Mei avait ce soir, décidé de l'interroger. Elle parlait d'aventure qu'il ne voyait ni ne comprenait, et si cette aventure il devait y avoir, c'était celui de sentir toutes les modulations des états d'âmes de Mei faire vibrer les airs. Sa présence était une suite d'accords perpétuels, un chant permanent.
Haruki se relevait, et refermait dans une main, les deux grues opposées sans leur oppresser les ailes.
-Tes yeux dans mes yeux.
Il se dirigea vers la porte d'où émanaient les surveillants de l'école, surveilla un instant l'entrée avant de s'y diriger. Des oiseaux caquetèrent au dessus d'eux dans le ciel, le crépuscule à son apogée prenait des teintes qui vous rappelaient qu'il fallait vivre pour pourvoir les admirer à défaut de les toucher. Une pie noire se posait sur les rebords et l'observer disparaître dans la cage d'escalier, mais juste avant il s'était retourné et ses yeux avaient agrippé le drapé de la robe blanche de Mei.
Sujet: Re: La légende des mille grues Dim 24 Juil 2016 - 22:08
La joie, un sentiment d’accomplissement ou bien encore un soulagement. Je ne saurais le dire et pour cause la surprise fut telle qu’il m’était dur d’identifier clairement l’émotion qui me gagna à ce moment-là. J’exagérais peut-être, je ne devrais sûrement pas être aussi étonnée et pourtant voilà qu’il m’aura fallu un instant avant de comprendre qu’il m’avait entendu. Haruki m’avait répondu. Aussi faible fut l’intonation de sa voix et aussi indifférent fut sa réponse. Un sourire, discret certes vint se dessiner sur mon visage. J’ouvris la bouche, prête à continuer la discussion que j’avais tant désiré entamer. Mais il était trop tard. Les mots que je voulais prononcer restèrent en suspens et je me sentais bête. Pas ridicule ou même mise de côté. Juste bête. Un soupire finit par s’échapper alors qu’il était déjà à une certaine distance de moi. Aucune phrase, juste ce son qui me faisait comprendre que je devais retenter ma chance. J’espérais secrètement en avoir une, de seconde chance.
Tout mon être se crispa pendant le laps de temps où mon sort en tant qu’étudiante sans problème était remis en jeu. Des secondes puis une minute. Si court mais déjà trop long pour moi. Puis je pus souffler. Je reculais d’un pas et mon corps entra en contact avec le mur en béton froid. Et ce maque de chaleur me rappela ce qui était désormais un souvenir ancré dans ma mémoire. Je vis Haruki, assis et calme. Assis et loin de tout ça. Encore une fois trop loin et pourtant je n’avais qu’à me déplacer légèrement pour pouvoir sentir qu’il était à côté de moi, là tout près. Pas de réponse à ma question, je tournai ma tête pour admirer le ciel. Est-ce que chaque jour offrait réellement un spectacle différent ? Je me le demandais et je regrettais de ne pas lui avoir fait la remarque précédemment. Je le sentis se relever et sa voix se fit entendre une nouvelle fois. Je cessais de fixer le vaste étendu de couleur pour me concentrer sur sa personne. Lui était noir, ce noir qui ne se fait voir qu’au début de la nuit. C’était le même à la différence près que contrairement à lui, personne ne voulait se retrouver tout seul face à l’obscurité du soir.
Les deux grues rouge et blanche étaient dans la paume de sa main et il les tenait comme s’il avait devant lui de vrais oiseaux. Et si tel était véritablement le cas, ils pouvaient se sentir libres et ce même dans le creux de celle-ci si bien que nous risquerions d’être témoin de leur envol. Trop captivée, j’entendis à peine ce qu’il disait et lorsque cela percuta mon esprit, je fus en proie à de nouvelles interrogations. La réalité pris le pas sur la rêverie et je vis sa silhouette passer devant moi. Tel un automate je le suivis et je compris que nous quittions cet endroit. J’aurais dû être heureuse de laisser derrière moi ce lieu, mais je me retrouvais finalement partagé entre cette satisfaction et une tristesse que je cherchais à renier. Haruki jeta un coup d’œil avant de se diriger vers la cage d’escalier, je m’arrêtai pour ne pas lui rentrer dedans et je joignis mes mains derrière le dos, l’air curieux et inquiet. L’image de deux enfants préparant les quatre cent coups traversa mon esprit et je me retins d’émettre un léger rire La voie était libre.
Nous reprenions notre marche vers la sortie et je jetai un dernier coup d’œil au coucher de soleil avant de me retourner définitivement sur la porte. Je fus coupé dans mon élan. Je ne saisissais pas tout de suite la raison de cet arrêt. Ses iris se posèrent sur le tissu de ma robe. Je le recopiai, me sentant légèrement gênée par la situation. Un quoi voulu sortir franchir mes lèvres, mais il n’en eut finalement pas l’occasion. Il me devança. Tout va bien. Mei. Tout va bien. Mei. Et je répétais cette phrase encore une troisième fois pour être sûre de l’avoir entièrement comprise et enregistrée. J’avais envie de le remercier, de le rassurer car oui il n’y avait plus rien à craindre. J’étais heureuse.
« Merci. »
Merci pour tout. Je le dépassais, ouvris la porte et m’engageais dans les escaliers. Je me surpris à les descendre très vite oubliant la possibilité d’une présence étrangère. Combien de temps s’était-il écoulé depuis que nous avions délaissé la salle du club ? A notre départ il y avait encore des cris émanant de dehors, le soleil n’était pas aussi haut dans le ciel et il faisait même encore trop chaud. Quand je regagnai la pièce, seuls les origamis n’avaient pas changé. Ce même demi-cercle, ce même arc-en-ciel de papier et ce même orchestre dont je n’arrivais pas à percevoir le moindre de son. Je m’accroupissais et j’observais une dernière fois tout ça. Du bout des doigts je soulevais les grues à ma portée et les déposais par la suite sur l’étagère. Il était temps de remettre les choses à leur place, de revenir à la normale à condition de ne rien oublier.
Je pris mon temps tout sachant que cela n’allait pas prendre une éternité, surtout si l’on s’y mettait à deux. Je relevais la tête et je me souvins que la fenêtre était ouverte. J’entrepris de la fermer, mais comme interpellé par ce sentiment d’évasion je m’y accoudais. Je respirais l’air frai. Je me retournai.
« Haruki. »
J’espérais avoir toute son attention.
« On se reverra, un jour. Ici ou ailleurs. »
Cela devait être une question, mais je ne pris pas la peine d’y mettre l’intonation. En soit, je voulais qu’il prenne ceci comme une promesse. Il était évident qu’on risquait de se revoir s’il était membre de ce club, mais je ne souhaitais pas qu’on se croise et qu’on se dise tout simplement bonjour, parmi une foule d’étudiants qui se serreraient dans cette même pièce. Et si ce n’était pas entre ces quatre murs, alors je ne le savais pas vraiment comment. Je faisais confiance au hasard, pour cette fois uniquement.
Invité Invité
Sujet: Re: La légende des mille grues Lun 25 Juil 2016 - 1:05
L'orchestre de papier était en train de s'effilocher, les origamis devaient se coucher à l'heure où la lune entamait sa veillée. Tous rentrèrent sur leur étagère, tous furent versés dans leur bac. Haruki l'aidait, faisant ruisseler la lumière du soleil rouge à travers les formes pliées, les reposait à leur place tel un gamin jouant à la voiture aux routes imaginaires défrayant les montagnes les plus russes. Mais son jeu ne s'arrêtait pas dans ce mouvement aléatoire et brusqué d'un esprit immature, sa trajectoire était à chaque fois la rencontre étudiée et le découpage entre la lumière, l'ombre et le son qui en découlait. Plongé dans un mutisme au regard du monde, la voix de Mei lui fit se redresser la tête et il lâchait la grue qui tournoya dans son bac.
-Ici?
Il avait répété, d'un air dérouté.
Il ne comprit pas mais il savait qu'il ne passerait plus par le bâtiment des clubs. Des demandes d'adhésion de clubs s'entassaient dans ses casiers, on le poussait à s'y investir mais Haruki Lei ne pouvait y trouver sa place: il y avait trop de teintes, trop de formes et trop de bruits dans les clubs. Trop de diktats, on y faisait la même chose, et cette capacité à suivre lui était simplement manquante, indépendamment de sa volonté.
-C'est un vœu comme la légende des grues.
Silencieux, il n'ajoutait pas qu'il en faudrait mille pour qu'il se réalise. Sadako Sasaki était morte avant de voir le sien se réaliser et cette histoire lui empoignait les tripes à chaque fois qu'elle lui revenait en tête. Mais lui, il en avait deux milles quatre vingt dix neuf dont seulement quelques dizaines dans sa chambre à Bougu. Elles étaient là, suspendues au plafond et tournaient comme les tournesols, non vers le soleil mais vers chaque valse que leur offraient les airs. La seule différence, c'est que Megumi les pliait pour lui, pour que ses vœux se réalisent alors que dans le fond, tous deux savaient que Haruki Lei n'en avait pas, et les offrait à cette petite fille partie trop tôt. Megumi avait dû retirer son fils de la voie scolaire que prenaient tous les autres enfants parce qu'après cette histoire, il avait décidé de laisser son corps en état chiffon des jours durant. Des grues naissaient presque chaque jour depuis, et Megumi Lei avait réussi à faire de ce garçon singulier ce qu'il était aujourd'hui.
Dans un froissement textile, Haruki se relevait et attrapait les mains de Mei pour l'empêcher de refermer la fenêtre, ouvrait les deux battants pour se hisser sur le rebord. Sans un regard en arrière il se laissait happer par quelques demis secondes de vide, sans danger. Le premier étage n'était pas vraiment haut, sans la fumée et la panique générale de l'explosion en hiver dernier, c'était la solution qui lui avait échappée. Distrait, il observait la fenêtre jusqu'à ce qu'elle se referme et disparut dans les premières lueurs de la nuit.
FIN
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La légende des mille grues
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