Nouvelle recrue en vue

Invité

Je m'étais remise à la natation chez moi, utilisant la piscine accolée à la maison pour multiplier les entraînements dès mon retour après les cours. J'avais fait de la musculation et de multiples joggings afin de retrouver mon niveau d'autrefois. J'avais réussi à muscler mon corps et améliorer ma condition physique comme je l'espérais, mais la taille de la piscine familiale ne me permettais pas de progresser dans mes temps, il me fallait un bassin de taille olympique. Je m'étais déjà rendue à quelques reprise à la piscine de l'école, pour voir à quoi elle ressemblait ou pour me détendre pendant la pause du midi. Mais je l'avais seulement fait pour retrouver le plaisir de nager et passer du bon temps. Cette fois-là, c'était différent, je voulais m'entraîner dure comme on me l'avait fait faire lorsque je faisais des compétition.

Vêtue de mon maillot de bain une pièce bleu ciel, je posais ma serviette, mes lunettes et mon chronomètre dans un coin près d'un plot avant de m'approcher de l'eau. Il n'y avait pas grand monde ce soir-là, quelques élèves par-ci par là. J'étais contente, au moins je savais que je ne serais pas dérangée pendant que je m'entraînerais et ferais des longueurs. Je mis quelques secondes pour rentrer dans l'eau tiède et, une fois entièrement mouillée, je une longueur de brasse et sortie de l'eau du côté des plot de départ. Je me mis sur un plongeoir, mis mes lunettes, déclenchais un chronomètre avant de le lancer plus loin et plongeais.

Aussitôt dans l'eau, je me mis à nager en crawl pour faire une série de huit longueurs. J'aimais cette nage et donnais tout ce que j'avais dans mes bras et mes jambes pour réussir à faire un bon temps. Au bout de trois allé-retour, une légère douleur due à la fatigue fit son apparition, mais je l'oubliais aussitôt, il fallait souffrir pour faire de bon temps c'est ce qu'on m'avait toujours dit. Malgré la douleur, je ressentais un réel plaisir à nager et à vouloir faire le meilleur temps possible. Je me revoyais quelques années plus tôt dans les multiples compétitions que j'avais réalisées. Cette souffrance était même encourageante, elle me prouvait que je me donnais à fond. Je restais concentrée comme on me l'avait appris, ne faisant pas attention à ce qui se passait autour de moi. Il aurait pu y avoir quelqu'un qui se noyait à côté de moi, je ne l'aurais pas remarqué.

Lorsqu'il ne me resta plus qu'une longueur, je fis un sprint, donnant mes dernières forces dans chacun de mes mouvements. Finalement, je terminais mes 400m de crawl. Épuisée par ma performance, le souffle court et les muscles endoloris, je me dirigeais pour récupérer le chronomètre et ma serviette. Je m'assis au bord de la piscine, roulée dans ma serviette, les pieds dans l'eau à observer le résultat : 4min 26s. Je râlais à voix haute malgré moi, soupirant bruyamment :

-Toujours pas assez pour aller aux jeux olympiques !

Je lançais le chronomètre à quelques mètres, énervée de ne pas être passée en dessous des 4min20. Je m'allongeais sur le bord de la piscine, fermant les yeux déçue de ne pas avoir réussi à faire un meilleur temps. Normalement j'aurais dû continuer à nager lentement pour avoir une récupération active. Mais la déception m'avait fait oublier la base d'un bon entraînement. Je savais qu'il était normal que je n'arrive pas à faire d'aussi bons résultats que quelques années plus tôt, mais c'était dur à accepter. Je m'en voulais d'avoir arrêté les entraînements ce qui allait sûrement m'empêcher d'aller aux JO.

Il n’y a pas grand monde sur le campus lors de la pause estivale, seuls quelques courageux viennent participer à leurs activités de club, sûrement impliqués dans le prochain festival culturel. Peut-être devrais-je proposer aux nageurs de faire quelque chose aussi ? Une campagne de recrutement ou je ne sais quoi. Enfin, nous revenons tout juste d’Okinawa, je vais les laisser souffler un peu. Je salue d’un grand signe de main un groupe d’élèves que je connais un peu plus loin, les étudiants me rendent la pareille avec un sourire. Ca me fait plaisir de me sentir chez moi entre ces murs. Après tout, cela fait plusieurs années que je fréquente cet endroit presque sans interruption. D’abord élève et maintenant enseignant, membre du club de natation et désormais président. Je n’aurais jamais pensé prendre des responsabilités si vite, mais je ne peux qu’être flatté de pouvoir me tenir en ces lieux qui comptent beaucoup pour moi. L’académie Keimoo n’est pas une simple cité scolaire, c’est un établissement d’excellence. En dehors des gens aisés qui peuvent payer les frais d’inscription à leurs enfants, il n’y a que des têtes sur les bancs de l’école, des élèves boursiers qui ont envie de réussir.

Parmi eux, des sportifs, des athlètes destinés à rejoindre les plus grands terrains du monde. Moi, je ne suis pas de ce niveau là et la compétition ne m’a jamais vraiment intéressé. De ce fait, je compte beaucoup sur des intervenants pour présenter le monde du sport professionnel à ceux qui envisagent d’y faire carrière. Et justement, aujourd’hui j’ai encore de la paperasse à faire. Formalités administratives pour faire venir un ancien élève de Keimoo qui a percé dans les bassins. J’ai d’ailleurs été surpris d’apprendre qu’il avait été mon Senpai, nous avons deux ans d’écart et nous avons fréquenté le même club, mais son nom ne me dit pas grand-chose. Bah, je suppose qu’on ne peut pas faire attention à tout le monde. A l’époque, j’étais nettement plus intéressé par les jeunes filles en maillot de bain qui venaient me voir plonger. Un sourire amusé prend place sur mon visage alors que j’ouvre la porte qui mène aux bassins intérieurs. Je passe par les vestiaires pour vérifier qu’aucun objet n’a été oublié depuis mon dernier passage, et c’est à ce moment là que j’entends des bruits d’éclaboussement en direction des bassins. Quelques mètres plus loin, je manque de trébucher sur un sac de sport encore ouvert. Je hausse un sourcil en constatant que quelques squatteurs ont décidé de se rafraîchir sans m’avoir demandé l’autorisation. En dehors des entraînements programmés, les bassins sont normalement fermés au public. Imaginez qu’un accident se produise, aucun adulte pour surveiller, ce scénario peut vite virer à la catastrophe. Bon sang, étais-je aussi inconscient dans ma jeunesse ? Peut-être ont-ils obtenu une dérogation exceptionnelle de M.Shiori, mais j’en doute.

« Dites, vous avez l’autorisation de nager ici sans surveillance ?
- Non monsieur. Quand nous sommes arrivés, la porte était déjà ouverte alors… »

Maudit concierge, il va falloir que je lui touche un mot la prochaine fois que je le croiserai. Je hoche la tête en signe de compréhension et autorise les jeunes à retourner à se baigner. Tant que je suis là, je pense que ça ira, mais ils n’ont pas intérêt à recommencer. Dans le cas contraire, je pourrais fortement sévir.

« Si vous voulez patauger, vous n’avez qu’à rejoindre le club de natation, nous poursuivons nos entraînements pendant l’été. »

Ils se regardent avec un air hésitant avant de hausser les épaules. Apparemment, ils avaient juste envie de se dégourdir un peu les nageoires aujourd’hui, pas de se lancer dans une activité sérieuse. Tant pis, j’aurais essayé. Je remarque alors une forme humaine dans un des couloirs. A la vue de son maillot qui colle à sa peau, je peux en déduire qu’il s’agit d’une fille. Elle est si concentrée qu’elle n’a pas remarqué l’arrivée d’un professeur ? Je fronce les sourcils, je devrais lui demander de sortir et de lui expliquer qu’elle n’a rien à faire ici normalement, mais ses mouvements de bras m’impressionnent. Ce n’est pas comme les autres qui peinent à avancer en crawlant. Quand elle plonge ses mains, j’ai l’impression qu’elle caresse l’eau, qu’elle pénètre la surface avec une aisance déconcertante. Je ne sais pas depuis combien de temps elle nage, mais elle est loin d’être une débutante. Quelque part, elle me rappelle l’une des nouvelles recrues du club : Lilias, mais je doute que cette dernière vienne nager en dehors de ses entraînements déjà bien rythmés étant donné qu’elle avait choisi de se spécialiser en natation dans son cursus.

Les bras croisés, j’attends que la jeune femme termine ses longueurs. Quand elle s’arrête enfin, je la vois sortir de l’eau, essoufflée et complètement exténuée. Ses lèvres bougent, mais je n’entends pas ce qu’elle dit. Toutefois son expression faciale m’indique qu’elle n’a pas l’air ravie de sa performance. Pourtant il me semble qu’elle bat largement une bonne partie des membres de mon club. Elle s’allonge sur le bord et ferme les yeux. Tiens, je ne voulais pas lui faire des reproches un peu plus tôt ? Allez Hayden, il faut que tu te reprennes ! Bon d’accord, mais avant ça, je vais chercher les documents que je dois remplir dans le bureau. Reportant les sermons à plus tard, je file récupérer les demandes administratives ainsi qu’un…formulaire d’inscription. Je craque, je ne peux pas laisser une telle occasion filer entre mes doigts. En tant que capitaine du club de natation et enseignant, je me dois de lui proposer de rejoindre mon équipe, en faire un nouveau talent. Bien joué M.Shiori, vous savez attirer les jeunes talents dans vos filets. Je repars vers les bassins en espérant qu’elle soit toujours là. Je scrute les alentours et constate que – fort heureusement – l’étudiante n’a pas bougé depuis mon départ. Enfin, en soi ce n’est pas très étonnant vu que j’ai dû m’absenter une minute au maximum. Tout sourire, l’air confiant, je m’approche de la nageuse et m’accroupis à côté d’elle.

« Vous devez être nouvelle pour ne pas savoir que la piscine n’est pas accessible en dehors des heures d’entraînement du club… »

Je me gratte l’arrière de la tête, je n’ai pas pu m’empêcher de faire ressortir mon côté règlement ambulant. Ceci dit, je peux maintenant me permettre de m’adoucir et me passer en mode recruteur. Un petit clin-d'oeil complice pour me faire pardonner ?

« Néanmoins, je vous ai vu nager et c’était assez impressionnant. Vous avez une bonne technique. »

Courte pause avant de reprendre avec un ton qui se veut assez amical. Etant plutôt jeune, il se pourrait qu’elle ne me prenne pas pour ce que je devrais être.

« Ah, je ne me suis pas présenté. Je suis M.Yoshida, j’enseigne les mathématiques au lycée et je suis le président du club de natation. A qui ai-je l'honneur ? »