Voyage japonais. Tel est le thème donné au club de littérature. Un thème qui me surprend assez, à vrai dire. Lorsque j’ai vu ces deux mots alignés à la suite, je n’ai pu m’empêcher d’écarquiller les yeux, ainsi que l’ombre d’un sourire s’esquisser sur mon visage pâle. Quelle ironie du sort. Je viens tout juste d’arriver au Japon, et me voici avec un voyage japonais à décrire. Toutefois, je ne vois pas quoi écrire. Je n’ai pas d’idée présentement. Je ne connais pas le pays, je n’y suis jamais allée auparavant, de plus je suis arrivée il y a presque une semaine et demie. Sans oublier que je n’ai pas eu le temps de visiter une autre ville que Keimoo, à mon grand dam. Qu’écrire ?
Mon esprit est troublé par ce thème. Embrumé. Il y a comme des fils de réflexion emmêlés entre eux. Des fils noirs dans un endroit blanc : le vide de mes pensées perturbés par des idées désordonnées.
Mon visage entré dans mes deux mains fines et délicates se balance mollement de droite à gauche, tel un enfant éléphant, à maintes reprises, dans un rythme déjà dessiné. Mes yeux sont clos. Je cherche. Je cherche désespérément une idée, dans cette grande salle destinée au concours de Keimoo. D’autres participants sont aussi déboussolés moi. Je suis rassurée, je ne suis pas la seule à être perturbée. Je constate que je ne les connais pas tous, seulement Rika-san et Maku. Eux aussi, partent à la découverte de l’Inspiration, maintenant que je les regarde bien. Mais je vois surtout Rika-san. Il me regarde de temps en temps, je n’y prête pas plus d’attention. Car après tout, moi aussi je le regarde. Je regarde aussi Maku. Comme si celui-ci pouvait me donner ce que je recherche si ardemment. Puis les examinateurs. Rien. Je n’ai pas de piste. Je réprime un soupire d’exaspération ainsi qu’un rire nerveux, et mords ma lèvre inférieure.
C’est la première fois que je suis en telle difficulté. En temps normal, je suis toujours pleine d’imagination, au point que je m’étonne moi-même. Mais aujourd’hui, je pense que je suis en panne. Malade. Je ne sais pas. Car il est inhabituel que je sois si troublée. Je fixe ma feuille. Elle est vierge. Comme mon esprit. Je porte ensuite mon attention sur le crayon que je tiens d’une main. Il est bien taillé, contrairement à mes idées brouillonnes qui me forment un charabia incompréhensible.
« As the time flies, I can’t help but notice that you can’t stop looking at my hair, right ? »
Mon crayon tombe bruyamment sur la petite table en face de moi lorsque cette voix que je ne connais que trop bien résonne dans mon cerveau désormais très clair. Aussi clair que le saké de ma tante. Mes yeux s’ouvrent grand comme si je venais de recevoir une révélation – ce qui est le cas. Et si j’écrivais une nouvelle sur… Lui ? Je me réjouis, le regard rempli d’étincelle. Oui, pourquoi pas. Il m’a toujours rappelé le Japon. Il m’en parlait de temps en temps, avant de dormir. Et je l’admirais. Je l’admire encore. Il est… mon plus grand rêve japonais.
La joie sur le visage, je reprends mon stylo et écris mes nombreuses idées sur la feuille. L’imagination emplissant ma tête, la surexcitation embaumant mon cœur, les souvenirs s’immisçant sur papier.
Les phrases se forment, la poésie s’imposant dans les mots. Je pense avoir fait quelque chose de bien, mais je ne suis pas sûre. Ce n’est qu’un brouillon. De plus, je dois faire vite avant que le temps que j’ai devant moi ne s’écoule. Le résultat qui en découlera ne me sera donc pas satisfaisant.
« Asahina Kuroh. Tes yeux dont la profondeur, transportant mon esprit dans les villes féodales du Japon, hypnotisent ce regard océan qu’est le mien. Tu aurais dû plonger dans le bleu abyssale de mes prunelles, suffoquer dans le vaste océan où j’aimerais t’amener et pourtant, c’est toujours moi qui me noie dans la ville d’Edo dont tu me parles tant. L’ancien nom que l’on donnait à la ville de Tokyo, m’as-tu un jour raconté en me tenant la main.
Ta main. Cette main épaisse et dure, qui me transporte dans l’atmosphère combattif que tu avais l’habitude de me montrer. Ce sabre de bois que tu tenais a endurci ta peau. Ta peau qui était si douce auparavant. Mais je pense que tu aimes le durcissement causé par le sabre avec lequel tu t’entrainais chaque jour. Car elle te donne un air viril. L’air d’un samurai peut-être ?
Je me remémore nos journées. Celles où je m’amusais à attacher tes longs cheveux lisses et ébène. Tu détestais ça, mais tu ne rechignais jamais. Je te répétais à chaque fois que tu ressemblais de plus en plus à un guerrier japonais de l’ère Meiji. Tu en étais toujours flatté. Car tu les admirais, non ? Ces guerriers ? Tes ancêtres génétiques ?
La nuit, avant de dormir, tu me contais de vieux contes du pays du soleil levant, allongé près de moi, sur le tatami importé de Kyoto. Te souviens-tu ? Mes doigts emmêlés dans tes longs cheveux noirs, brillants de mille feux. Ils étaient soyeux et bien entretenus. Car, ces fils que tu gardais longs, ils représentaient ton honneur, non ? Chaque fois que je faisais passer des mèches entre mes doigts, je croyais voir une eau sombre et gracieuse traverser le canal qu’était ma main. Cela me faisait rêver. Me captivait. Envoûtait l’océan de mon regard sur ton océan ténébreux, formé de fils fins et parfaits. »
Je m’arrête là, insatisfaite de la manière dont j’ai écrit ce début de nouvelle. Je fais la moue, mais ne me décourage pas. Je compte bien corriger cette partie finalement. Il le faut. Car je suis une insatiable invétérée. Et qu'il faut rajouter du fantastique pour troubler le lecteur.
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