I know you're keeping all your secrets to yourself [PV Judikaël]

Il faisait beau dehors et les sakuras séchaient tranquillement au soleil. L'été prenait enfin la place qui lui revenait pour devenir le second que mademoiselle Coda passerait au japon. Un temps idéal pour sortir, et ça tombait bien, il était l'heure. Pourtant, la jeune femme restait face au miroir, à moitié nue, sans savoir quoi porter.
C'était risible, au point de lui faire monter le rouge aux joues. Tout bonnement ridicule. Elle se sentait comme une adolescente n'ayant pas les derniers vêtements à la mode à se mettre. Néanmoins, ce mal était nécessaire, après sa rencontre avec Seth. Elle avait eu la prétention de se présenter en tant qu'homme, et bien que les vêtements masculins jonchaient ses armoires, il fallait qu'elle s'habille de manière féminine afin de laver cet affront.

Saisissant d'une main fébrile un soutien-gorge au fin fond d'un placard, elle le passa sur sa poitrine plate, accrocha les aggraphes une à une pour se sentir comme un travesti et rire à son reflet.
C'est ridicule se dit-elle en s'affalant sur son lit.

C'est avec son pull habituel qu'elle descendit en grande hâte les escaliers de l'hôtel, puis ceux des rues pavées, à peine coiffée. Dans sa course, elle envoya rapidement un SMS d'une main à son ami :
« En retard. Pardon, j'arrive. »

Il y avait comme un vent frais et agréable qui la poussait dans la direction du quartier Hiryuu. Qu'il était agréable de voir quelqu'un en dehors du cadre étouffant du lycée ! C'était comme une délivrance pour la jeune femme qui se souvint de ses belles années dans sa course, ces jours heureux où elle faisait tout et n'importe quoi, ne suivant que son cœur et son inspiration du moment pour écrire son roman qu'elle rêvait de publier un jour. Elle rit. Jamais elle n'y avait songer de nouveau. À peine terminé, au placard. De quoi parlait-il déjà ?

Le vent s'arrêta de souffler à l'instant où elle passait devant une boutique de travestissement, et elle se souvint soudainement. Elle y racontait les histoires de ses amies de Londres. Les drag-queen qu'elle avait rencontrée dans des bars. Troublée, elle regarda sa montre, puis son reflet dans la vitrine. Et pourquoi pas ?

-

Quand une jeune fille ayant l'air de tout sauf d'une habituée de la cour des miracles fit son apparition devant la devanture, quelques clients en terrasse se retournèrent vers elle, hésitante à rentrer. Pour commencer, elle avait sûrement une demi-heure de retard. De plus, même le serveur pourtant si familier serait incapable de la reconnaître.
La liste de ses achats avait été longue. Deux soutien-gorge en silicone qu'elle superposa afin de donner l'illusion d'une poitrine d'adolescente, surmonté d'un troisième push-up qu'elle s'était même permise de rembourrer. Un serre-taille qu'elle portait sous son t-shirt long à motif coloré, lui même emprisonné dans la ceinture d'une jupe plissée de couleur orangée, puisqu'elle n'avait pas su se résoudre à porter du rose. Pour terminer, une perruque brune ondulée lui allant jusqu'au milieu de son dos et une touche de maquillage poudré. Elle se sentait ridicule comme jamais, surtout d'avoir choisie des vêtements si girly, sûrement très peu adapté à son âge. La honte serait totale si elle croisait un élève dans cette tenue. Néanmoins, chacune des images que lui renvoyait son reflet et les miroirs sur sa route la persuadait que ce n'était pas si grave, que l'ensemble était plutôt naturel. De plus, pour Seth, seule la perruque sortirait de l'ordinaire, puisqu'il ne l'avait vu qu'une fois et ne pouvait savoir que ces vêtements était loin de lui être familier.

Judikaël se décida finalement à entrer dans le café, et aperçut immédiatement l'homme déjà installé, ravissant dans sa chemise, parfaitement bien coupée et dont la couleur se mariait parfaitement à ses yeux verts. Elle ne pouvait que l'envier, lui qui n'avait pas à faire autant d'efforts pour être présentable, lui qui avait ces épaules capables d'ouvrir n'importe quel porte sans faiblir, lui qui avait ces hanches étroites qui lui permettait de porter tout ce qu'il souhaitait. Lui qui avait un corps parfaitement masculin. La jeune femme encore rougissante de son déguisement se pencha vers lui pour lui faire la bise à la française, tout en portant une main à sa poitrine afin de ne pas dévoiler son décolleté factice en se penchant.

« Bonjour Seth. »

La jeune femme lui sourit, un petit air gêné sur le visage quand elle s'asseyait. Elle continuait de fixer Seth, de parcourir du regard sa tenue et son corps. Elle se balança quelques secondes sur la chaise en bois, d'abord d'avant en arrière puis en la faisant trembler de droite à gauche. Un sentiment d'envie, peut-être de jalousie, grandit en elle. Ce même sentiment qu'elle avait parfois en regardant la barbe rousse de William. Son sourire grandit encore. C'était totalement absurde.

« Excellemment bien. Et toi ? »

La réponse automatique que son sourire ne pouvait trahir. Elle se triturait les mains, jouant à faire tourner sa nouvelle bague autour de son index. Elle avait la forme d'une flèche entourant son doigt, et était pourvue d'une petite pointe. Sans en être totalement consciente, elle se gratta la peau près de l'ongle en l'utilisant comme outil, puis comme une arme en l'enfonçant dans sa phalange. Elle avait envie de rire tant elle était nerveuse.

« J'espère que tu as faim. »

La phrase la fit sursauter. Bon sang mais qu'est-ce qu'elle foutait ? Elle se redressa et s'adressa à nouveau à l'anglais.

« Oh oui ! Je n'ai pas encore manger ahah. À l’hôtel je me nourris principalement de spéculoos et de thé vert, je n'apprécie pas le restaurant, il y a trop de monde. »

Parler autant lui permettait discrètement de se soulager d'une part de son stress, ainsi que de racheter sa gêne et sa probable impolitesse. Le serveur écossais se dirigea vers leur table, son carnet à la main. Il portait son habituel t-shirt Docteur Who estampillé ''Keep calm and don't blink'', référence évidente à certains épisodes de la série que la jeune femme connaissait vaguement. Néanmoins, elle prit le message de manière personnelle, prenant une grande inspiration pour garder son calme et garder consistance face à l'homme, le dos droit, le menton haut. Elle salua William d'un hochement de tête. Il la regarda un instant, interloqué par cette jeune fille inconnue, avant de la reconnaître enfin.

« Oh, Judikaël ! Qu'est-ce que tu fous habillée comme... »

Il laissa sa phrase en suspend en remarquant l'homme face à elle. Il le dévisagea un instant, analysa ses yeux verts, son costume, sa hauteur, avant que la femme lise dans son sourire la conclusion à laquelle il était arrivé. Il tendit sa main vers Seth en signe de politesse.

« Je vois. Enchanté monsieur... ? Pardonnez cette jeune femme de ses étourderies, c'est pas sa faute, elle est poète dans l'âme, elle a du suivre un chat pour trouver son chemin ahah. »

Il se redressa et reprit un air plus sérieux, adressant un regard malicieux et compatissant à Judikaël

« Et sinon, qu'est-ce que je vous serre ?
-Un ginseng avec une part de tarte aux pommes. Oublie pas la cannelle cette fois.
-C'est noté ! »

Le serveur repartit avec son carnet derrière son comptoir pour préparer les commandes. La jeune femme rassurée put lancer un sourire plus rassurant à son collègue. Elle avait remis sa bague en place et se sentait bien plus apaisée grâce à l'intervention de William et le message de son t-shirt. Sensible aux petits riens, il ne lui suffisait parfois que d'un mot. Elle se maudissait néanmoins cette sensibilité, cette fragilité à fleur de peau, ce caractère romantique qui lui avait valu tant de problème auparavant, notamment avec Lola, quand la fleur bleue a voulue goûter à la fille chocolat.
Et puis il y avait Seth, après tout pourquoi pas. Elle reporta alors son attention sur lui et engagea la discussion.

« Tu t'intègre bien à l'académie ? Avec les élèves, nos collègues ? »

Malgré son accoutrement et tout le reste, Judikaël put se rassurer que son collègue n'engage pas la discussion sur le sujet. Le professeur put remarquer à nouveau l'assurance qui l'irradiait, dans les gestes qu'il avait, rien qu'en se levant légèrement pour empoigner la main que lui tendait William. Il était difficile pour elle de ne pas l'observer et épier le moindre de ses gestes. La sorcellerie était grande et elle ne la maîtrisais en rien, c'était ce qui était fascinant chez lui, peut-être chez tous les hommes. Zakuro ou William ne dégageaient pas cet aura, et elle avait bien une idée de pourquoi sans oser se la prononcer. Seth n'avait pas les rideaux noirs, il n'avait pas l'apparat écossais. Seth avait les hanches étroites et les épaules carrées. En silence Judikaël le détaillait. Sans comprendre où était la différence si ce n'est sur la frontière de la table ronde.
Elle sourit timidement quand il prit sa commande, ils aimaient le gingembre tous deux. Et après ?
Le musée, les sorties, le lycée, l'université, le quotidien, et la littérature et donner et recevoir. Que savoir ? Que dire ? Choisir de jouer quand on sait déjà que c'est terminer d'avance. Un, deux, trois. Battement de cil, basculer la tête, rire.

« Ahah, non, je n'en ai pas entendu parler. Tu as dû remarquer que je ne m'entends pas des masses avec mes collègues ! Mais racontes-moi. »

Elle le dévora du regard d'un air qui se voulait charmant pour l'encourager à continuer. Sa perruque commençait à lui peser. Il y avait comme deux lourdes masses la rapprochant du sol et lui masquant une partie de son champ de vision. Judikaël devait faire tous les efforts du monde pour rester présentable en jupe. Le bruit, lui aussi, devenait agaçant. Tout l'était au final, en particulier la lumière clignotante qu'elle fixa pour ne rien laisser paraître de son admiration. Cette ampoule et ses deux petites mouches aux reflets verts volants autour. Elle concentra son attention sur le bourdonnement familier des insectes qui se répercuta instantanément dans son cerveau pour y rebondir et s'y multiplier. La jeune personne ferma les yeux. Rester dans le monde réel était devenu une épreuve. Elle les rouvrit et sans quitter la lampe des yeux, elle aligna ses mots banals pour Seth sans les entendre, comme un robot parlant binaire. Mauvais acteur.

« J'ai également beaucoup de projets avec le club de littérature. Je suis très honorée qu'on m'en ai proposer si vite la présidence sans que je n'ai rien demander. C'est agréable de voir ses élèves dans un cadre différent. Lyn Aeris, en particulier, à l'air d'avoir beaucoup de ressources. »

De ressources, elle se souvenait surtout d'un regard et d'un visage dépassant ses visions de la beauté, mais c'est un aspect qu'elle évinça bien vite de son esprit devant l'homme de droit. Ses vices devaient cesser, et son accoutrement en était un tout autant que l'inverse. Était-ce réellement pour voir dans son thé le reflet du démon d'un démon ? Il n'y avait plus rien d'humain de ce côté de la table.

Elle le fixa d'un air plus grave. L'être de lumière, si parfait, si propre sur lui. L'ampoule s'est éteinte.

« Vous avez bien du courage. »

HRP:

Judikaël écoutait l'homme sans arriver à s'intéresser réellement à ce qu'il disait, plus distraite par les mouches, une feuille qui tombait au dehors ou le bruit de l'escabeau cognant contre la porte. Celui que William est parti chercher pour réparer l'ampoule. Mais dans la demi-obscurité, elle ne parvenait plus à voir les mouches. Regarder les feuilles derrière la vitrine auraient demandés qu'elle tourne la tête, et elle en était incapable. Pas si elle voulait rester concentrée sur la perfection face à elle qui ne demandait qu'à être prise au sérieux dans sa vision des choses déformée. Là où la perfection ne pouvait que se sentir étrangère.
Le temps s'était arrêté quand William était rentré dans le placard. Seth était silencieux depuis que les bris de l'ampoule étaient venus se décomposer dans son dos. Se rendait-il compte de sa place au sein de l'esprit du professeur ? Savait-il tout l'amour qu'elle portait au symbole qu'il véhiculait ? Était-il conscient de la place bien plus importante qu'il devrait occuper, du monstre d'égoïsme qu'elle était ? C'est tout naturellement que l'agacement est venu.

« Du courage ? Mais de quoi tu parles ? »

La cuillère dans le poing vint frapper la table en bois dans un bruit métallique. Le temps avait repris. William, heureux, descend de son escabeau, le soleil de la cour des miracles brûle à nouveau, mais ça, elle ne le vit pas. Judikaël fut surprise que son bras tombe si vite, dans un geste si rapide qu'elle n'avait pas souhaitée. Elle sentait qu'il aurait dû être freiné, que comme un objet plongé dans l'eau sombre, il aurait dû remonter à la surface et rester suspendu dans les airs. Le voile sur son visage s'envola sans son consentement, la laissant seule face au reste du monde, qui soudaine pesa sur son esprit. Immanquablement, ses yeux se retrouvèrent empalés dans le regard sévère de Seth Darnell. Plus rien d'autre n'existait autour de la table. Elle ne savait même pas de quoi il parlait.

« Oh je… Je ne sais pas. Tu... Enfin, vous... »

Mais oui, qui ça vous ? Lui ? Eux ?

« Vous les hommes, j’imagine. Je veux dire, oui. Vous avez de la chance ahah. »

Elle se tritura ses cheveux synthétiques sans savoir quoi dire de plus. Elle glissa légèrement sur le côté, et bien qu'elle le remarqua, elle resta tel quel. Mettant une des mèches au coin de ses lèvres, elle passa les fibres entre ses dents dans un léger bruit imperceptible de craquement. Le goût de plastique proche du vinaigre embauma ses sens, remplaçant celui du gingembre. La transe se figeait à nouveau à l'intérieur d'elle en gelant sa gêne. Elle fit quelques dessins sur la table avec l'eau restée sur le bout de sa petite cuillère avant de se décider à reprendre la discussion.

« Avez-vous… Euh, As-tu une famille Seth ? Une petite amie peut-être ? »

Elle était seulement incapable de se souvenir si le sujet avait déjà été évoqué auparavant. Elle retira sa mèche de sa bouche et se redressa, en remettant sa perruque en place. Avoir l'air adulte. Avoir l'air sûre d'elle. Faire bonne figure.