Anguille sous roche n°4

Une semaine nostalgique, c’est ce qui s’annonçait pour la jeune japonaise originaire de Tokyo. Son père ayant réussi à obtenir quelques congés, toute la petite famille avait décidé de faire une pause dans leur vie surchargée au rythme effréné de la mégalopole, pour venir se reposer dans un hôtel de luxe du centre-ville Keimoosien.

Naoko, elle, restait dans sa résidence pour le coucher, mais passait une grande partie de son temps libre à l’hôtel, profitant de sa sœur, sa mère et bien sûr de son père, qu’elle n’avait pas vu depuis longtemps. Les deux filles avaient été autorisées, par l’influence du père, à rater les cours pendant une semaine dans leurs établissements respectifs. C’est ainsi que pour Naoko, cette semaine fut aussi synonyme de vacances. Elle allait pouvoir profiter du festival en toute liberté. Depuis la chambre de l’hôtel, bien sûr, vu que pour la jeune fille, les foules festivalières étaient plus synonymes de cauchemars et de fin de soirée à l’hopital plutôt que de plaisir.

C’est pourquoi durant les journées, les Tanaka préféraient tirer avantage des autres activités que proposait le centre d’activité qu’était Keimoo lorsque leur famille était complète. Ainsi, les touristes Tokyoïtes profitaient du festival lorsque l’ainée devait se présenter à son travail dans le café.

Café que les parents de la jeune fille n’avait pas manqué d’investir, pour s’assurer qu’elle évoluait dans un environnement correct, et faire la connaissance de son patron, qu’ils trouvèrent tout à fait à leur gout.
Ayant aussi quelques inquiétudes quant au colocataire de sa fille adorée, Akitoshi Tanaka ne s’était pas empêcher de faire passer un véritable interrogatoire à Oswald, et avait inspecté tous les recoins de la maison en quête de cachotteries suspectes. En vain, au soulagement de tout le reste de la famille, qui était certes, un peu exaspérée du comportement excessivement protecteur du père, mais à la fois attendrie devant la démarche seulement motivée par l’amour de ce dernier.

Himiko, la benjamine, avait aussi fait une inspection surprise de la garde-robe de son ainée, et y avait mis un bazar sans nom lorsque cette dernière ne lui prêta pas attention. Ainsi, à sa surprise, Naoko se retrouva avec beaucoup plus de vêtements qu’elle n’en avait avant, certains, beaucoup trop féminins et à la mode pour qu’elle les ait acheté elle-même. Elle comprit rapidement qui était la coupable, mais décida de laisser passer pour cette fois-ci, ne voulant pas créer de conflit avec sa petite sœur vu le peu de fois où elles avaient l’occasion d’être ensemble.

La semaine se déroula merveilleusement bien, et la veille du départ, chacun était un peu attristé qu’elle touche presque à sa fin -même si l’ainée et le père ne l’avouerait sûrement pas, où alors à demi-mots-. Le chef de famille, voulant marquer le coup avant de devoir quitter la ville paisible de Keimoo, décida alors d’emmener toute sa petite famille au casino.

C’était un lieu particulièrement apprécié des parents Tanaka, dont ils se réservaient jusqu’à maintenant le plaisir à eux seuls. Mais en ce jour, ils décidèrent de le partager avec leurs filles, malgré qu’elle n’ait pas l’âge réglementaire. Après une discussion avec le gérant, et un léger pot-de-vin, les jeunes filles purent pénétrer dans la grande salle luxueuse et sans fenêtre du casino, pour être escortée par deux vigiles dans une salle réservée. Elles furent même autorisée à boire une (et une seulement) coupe de champagne chacune.

Himiko était surexcitée par l’activité, et mettait à jour toutes les 3 minutes son statut sur les réseaux sociaux. Naoko, quant à elle, observait silencieusement les décors fastueux et la clientèle huppée qui l’entourait. Les parents eux, guidaient leurs filles vers les différentes tables, leur apprenant à jouer aux différents jeux d’argent proposés, sans se soucier de combien ils y dépenseraient.

Après deux heures d’amusement, et une quantité de yens dont on ne dévoilera pas le montant perdus et gagnés, la japonaise commençait à se lasser, ne voyant pas l’intérêt des jeux si le risque de perdre et la chance de gagner n’y changeait rien. Après avoir prévenu ses parents, elle décida d’aller déambuler dans les autres salles du casino, voir si elle y trouverait quelques choses qui piquerait son intérêt.

Accompagnée d’un vigile qui la suivait à 1 mètre 50 derrière elle, elle longeait les différentes salles jusqu’à finalement se retrouver à l’accueil. Là, un grand aquarium rempli de poissons multicolores trônait fièrement près du comptoir de l’entrée. Naoko s’assit sur un canapé du petit salon d’attente, et observa avec attention la nage hypnotisante d’un Arowana. Elle avait lu quelques part qu’il était très rare d’en trouver encore à l’état sauvage, et que la valeur marchande de l’animal le faisait sentir.

Fascinée par le bal aquatique, la jeune fille remarqua de l’autre côté du verre déformant de l’aquarium, une figure qui la fit tiquée. Elle était sûre de l’avoir déjà vue, mais où ? La fixant avec attention, elle fut surprise lorsque leur regard se croisa. Naoko ne brisa pas l’échange, cherchant dans sa mémoire d’où ce sentiment de familiarité pouvait bien venir.
Le poisson dragon rouge, probablement vexé de ne plus être le centre d’attention, se plaça d’un coup de nageoire dans le champ de vision de la japonaise. Et lorsqu’il ne l’obstruait plus, la mystérieuse rouquine s’était envolée.
Dans ses pensées, Naoko ne fut délogée de sa place que par sa famille, qui, décidant de partir au restaurant, venait chercher le dernier membre manquant.

Voilà plus d'une semaine que la jeune fille n'avait pas ouvert son ordinateur, le laissant trôner sur un coin de son bureau, elle oubliait une bonne partie du temps qu'elle en possédait même un et ce dernier ne lui servait qu'à échanger des mails formels avec son avocat, son père ou, à quelques reprises à peine, avec sa mère. Curieuse, elle fini par l'allumer, se rendant bien vite compte que cette semaine vide de sens avait également été vide de mails. Mais alors qu'elle s'apprêtait à refermer l'écran, le petit bruit caractéristique retentissait. La surprise fut totale, c'était Shark, son ancien dealer. Au fil des années, elle avait fini par lier une amitié étrange avec ce dernier, ils se voyaient une à deux fois par semaine, et avait fini par parler un peu, s'échangeant au départ des formalité pour finalement se retrouver et suivre le fil décousu de leurs vies respectives. Intriguée, elle ouvrit le mail, qui commençait par un petit mot gentil de ce dernier, prenant de ses nouvelles. Lorsque la rouquine avait fait son overdose, arrêtant immédiatement tout rapport à la drogue, elle en avait immédiatement informé Shark, évidemment, ce dernier s'approvisionnait en conséquence pour la jeune fille, et la moindre des choses était de lui indiquer qu'il pouvait stopper. Il avait eu l'air sincèrement heureux pour elle, et lui avait chaleureusement souhaité une bonne continuation. Depuis, plus d'un an avait passé, et elle n'avait pas eu de nouvelles.

Il commençait bien évidemment par lui demander si elle allait bien, avec son ton protecteur habituel qui fit sourire la jeune fille. Un dealer qui se souciait de sa cliente, c'était quand même le comble. Il l'avait croisée dans la rue quelques temps plus tôt, dans le quartier Bougu alors que cette dernière sortait de son ancien pub. Et il avait apparemment un service à lui demander. Elle tiqua légèrement, espérant que ce n'était pas quelque chose de sale, ou de lié à la drogue. L'idée de recommencer ce cercle vicieux ne lui plaisait que moyennement. Mais non, l'idée était tout autre. Et la surprise fut totale. Il s'était également lui-même sortit de cet univers, et travaillait maintenant comme vigile dans le Casino de la ville, un agréable retournement dans sa vie. Il lui indiquait également qu'après son déménagement il avait retrouvé dans son appartement un carnet de dessin qui semblait lui appartenir, sûrement qu'elle l'avait oublié un jour où elle était venu chercher sa dose, encore trop défoncée pour faire des gestes clairs.

Elle se recula sur le dossier de sa chaise, réfléchissant. Il lui proposait de passer ce soir au Casino, le vigile aurait son nom et elle n'aurait qu'à récupérer le carnet. C'était une demande étrange, mais il ne voulait peut-être pas qu'elle sache où il logeait à présent, pour sortir de l'enfer de la drogue, tous les liens devaient être coupés, et ce mail prouvait que même s'il voulait s'en sortir, il tenait à la jeune fille, ou pensait que ce carnet était d'une importance primordiale. Ce ne l'était pas, mais l'idée l'amusa, et elle répondit à l'affirmative, se préparant à rentrer dans le Casino, le dernier lieu où elle pensait mettre les pieds dans Keimoo. Enfilant la seule robe qu'elle possédait, noire et simple mais élégante et bien coupée, elle sortit de sa chambre et s'y dirigea.

En effet, lorsqu'elle s'annonça, le vigile sourit et la laissa rentrer sans même poser de questions ou demander une carte d'identité, elle pénétra donc dans le temple de la luxure et de la débauche en VIP totale. Observant un peu les lieux, elle appréciait l'architecture travaillée, même si toute cette luxure lui semblait un peu inutile. En bonne élève d'Architecture, elle se fit un devoir d'analyser la construction et la disposition, qui sait, cela lui donnerait peut être des idées pour sa salle de spectacle, qui trônait toujours à l'état d'ébauche dans sa chambre. Repérant Shark, pimpant et tout beau dans son costume noir, elle le salua et s'approcha de lui avec un grand sourire. Il la gratifia d'un regard chaud, ne pouvant pas sourire mais gardant tout son cœur dans ce salut. Deux âmes perdues qui avaient su retrouver le droit chemin, le tableau était plaisant à voir. Il sortit de sa poche le petit carnet, et lui tendit, prenant au passage de ses nouvelles tout en gardant un œil sur la salle. La discussion dura deux minutes à peine mais réchauffa le cœur de la rouquine, il fut ensuite appelé pour un incident un peu plus loin et ils se séparèrent, sachant qu'ils ne se reverraient jamais.

Traînant quelques minutes de plus afin d'observer les alentours, sachant qu'elle n'aurait probablement plus là chance de revenir ici, elle s'attarda sur un grand aquarium. Le monde marin et elle, grande histoire d'amour, également l'histoire de son premier amour. Suivant du bout du regard le cheminement des poissons, elle se rendit compte que de l'autre côté de l'aquarium, une jeune fille faisait de même. Une brunette pas tout à fait inconnue, mais pas vraiment connue. Leurs regards s'accrochèrent, se détournèrent bien vite. Tournant les talons, la jeune fille sortit du Casino, son carnet sous le bras, et rentra chez elle.

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