L'heure des révélations [PV: Jun]

L'après midi touchait à sa fin, il ne restait presque plus personne dans la salle de Musique à part Jun le président du club, moi et un autre membre. J'avais pas vraiment vu le temps passer. En ce moment, je travaillais sur une nouvelle mélodie mais il fallait encore que j'ajoute quelques accords pour mieux la mettre en valeur. Là, j'étais en train d'essayer de faire quelques arrangements avec le synthé pour voir ce que ça pouvait donner en intégrant des sons un peu différents. Je n'avais jamais vraiment aimé le clavier du synthétiseur, préférant de loin le toucher plus lourd des touches de mon piano acoustique mais il était parfois utile et nécessaire de changer d'instrument. Jusque là, en tout cas, j'étais plutôt satisfaite du résultat. Ceci dit, je n'avais pas encore la moindre idée de ce que j'allais pouvoir dessus. Je n'avais même pas commencé à réfléchir aux paroles et de toute façon je ne pouvais pas me permettre de chanter ici.

Ce dernier point commençait d'ailleurs à devenir un véritable problème pour moi et ça me pesait de plus en plus. Depuis bientôt deux mois que j'étais inscrite dans le Club de Musique, j'étais frustrée de devoir me contenter de jouer au piano et composer alors que moi ce que j'aimais par dessus tout c'était chanter. Le problème c'est que je craignais un peu les réactions des autres élèves. Ma voix était assez unique, d'ailleurs s'il y avait bien un point sur lequel les critiques d'accordaient c'était pour dire que je possédais une voix angélique plutôt exceptionnelle. Alors, si je chantais, ils allaient immédiatement comprendre que j'étais Diamond et je voulais éviter que l'information circule dans toute l'école sinon ça allait virer au cauchemar et les moustiques allaient finir par rappliquer. Par « moustiques », évidemment, je faisais référence aux paparazzis, c'est le petit surnom que je leur ai donné. Bien sur, si le secret pouvait resté confiné au Club de Musique, alors tout serait parfait, mais comment pouvais-je être sure que les autres n'iraient pas tout raconter à leurs amis et parents à la seconde où ils seraient au courant ?  C'était un risque que je ne pouvais pas prendre. Toutefois, plus les semaines passaient, plus je songeais à la possibilité que peut-être Jun pourrait m'aider.

Je ne connaissais pas particulièrement bien le président du club, mais j'avais tout de même eu l'occasion de lui parler quelques fois et j'avais le sentiment que je pouvais lui faire confiance. Je savais qu'il était un mec populaire, étudiant à l'université en je ne savais plus trop quelle année, le genre un peu narcissique et vaniteux mais malgré tout sympathique et bon vivant. Personnellement, je n'accordais pas le moindre intérêt dans ce concept très surfait de popularité, si tant est que ça rime à quelque chose, aussi, si la plupart des élèves étaient impressionnés par son charisme, ce n'était certainement pas mon cas. D'ailleurs, à l'inverse, il me semblait fort peu probable que lui même réagisse comme l'un de ces fans hystériques si je lui déballais la vérité à mon sujet et c'était en partie pour ça que je voyais en lui un possible allié pour résoudre mon foutu problème. En tant que président du Club, et compte tenu de l'influence qu'il semblait avoir ici, Jun était très certainement la personne la mieux placée pour m'aider à trouver une solution. Si je ne voulais pas péter un câble de frustration, il fallait que je lui en parle. Pour ça, je comptais attendre que nous nous retrouvions seuls.

Je jetais un coup d'oeil au dernier membre du Club encore présent hormis Jun Masato et moi. Le garçon semblait avoir fini de jouer à la batterie et était en train de ranger ses affaires pour s'en aller. De son côté, Jun était en train de préparer je ne savais trop quoi, mais je supposais que ça avait un rapport avec un futur projet pour le Club. C'était ma chance. J'attendis que l'autre garçon quitte la salle après un bref « Salut » d'au revoir à notre intention auquel je lui répondis de la même manière. Je patientais encore quelques minutes, le temps qu'il s'éloigne afin d'être certaine d'être désormais totalement seule avec Jun. Puis, prenant une inspiration, je me décidais à me lever pour m'approcher du président et me jeter à l'eau.

« Hé Jun, si t'as un peu de temps, faudrait que j'te parle d'un truc. »

Jusque là, c'était facile, mais j'aurais peut être du réfléchir précisément à ce que j'allais dire avant de l'aborder. Ça avait semblé plus simple dans ma tête car maintenant que j'étais là je ne savais pas comment présenter les choses sans que ce soit trop bizarre. Comme j'étais sur le point de tout déballer, je me sentais super nerveuse et je devais avoir l'air préoccupée. Mais bon, comme il avait levé la tête pour m'écouter et m'encourager à continuer, il fallait bien que je crache le morceau. J'avais déjà pris ma décision et c'était pas le moment de faire marche arrière.

« Voilà, en fait, j'aurais vraiment envie de pouvoir chanter au Club, seulement.. je crains que ma voix soit un peu trop.. euh.. reconnaissable...» déclarais-je un peu maladroitement en cherchant mes mots. Putain, c'était complètement débile, comment pouvais-je me sentir aussi peu assurée, là, face à une seule personne alors que j'étais parfaitement à l'aise sur une scène face à 10 000 spectateurs ?  Je me forçais à inspirer calmement afin de mieux maitriser ma nervosité et cesser d'hésiter comme une imbécile avant de poursuivre : « Du coup, je me demandais s'il y avait pas une possibilité de gérer ça, tu vois, histoire de limiter le nombre de personnes au courant... du fait que je suis Diamond. »

Bon, et bien, ça y est, c'était dit, il ne me restait plus qu'à attendre sa réaction et assumer les conséquences de ma révélation.

Je dévisageais Jun avec une légère appréhension, attendant sa réaction suite à ce que je venais juste de lui avouer, mais je réalisais rapidement que mes craintes n'avaient pas lieu d'être. Sa réponse compréhensive et amicale, ainsi que son sourire ne tardèrent pas à dissiper mon inquiétude et je sus aussitôt que j'avais bien fait de m'adresser à lui. En l'espace de quelques seconde, ma nervosité s'envola complètement et je me sentais libérée. J'étais heureuse d'avoir trouvé quelqu'un qui me comprenne et, envahie par le soulagement, je souris en retour à mon aîné. Je confirmais d'un hochement de tête que c'était effectivement pour protéger mon secret que je n'avais jamais chanté, même si c'était tellement évident que la question en devenait rhétorique.

Bien sur, le président du Club était pris de court par ma déclaration, c'était parfaitement normal et je ne m'attendais pas à ce qu'il trouve forcément une solution dans la minute. Pourtant, le simple fait de pouvoir parler de ça à quelqu'un qui soit de mon côté me faisait le plus grand bien. Et surtout j'étais vraiment contente de voir que si Jun faisait cas de mon problème, il me traitait comme une personne normale, et non comme une star. Quand vous êtes célèbre, la plupart des gens finissent pas oublier que vous êtes aussi, avant tout un être humain avec des émotions, des faiblesses et des soucis, comme tout le monde. Mes lèvres s'étirèrent en un sourire joyeux quand il déclara vouloir m'entendre chanter en live, car, moi, je ne demandais pas mieux.

Naturellement, je savais aussi que ça ne serait pas évident de trouver une solution, c'était pas pour rien que je m'étais décidée à lui demandé son aide. J'avais l'impression d'être dans une impasse. Jun ne tarda d'ailleurs pas à confirmer ce que je craignais. Garder un secret comme le mien dans un lycée, ça allait pas être du gâteau. Je pinçais légèrement les lèvres avec une moue entendue. La réalité du lycée était bien différente de ce que j'avais imaginé et je commençais à m'en rendre compte, à mes dépends. Si je pensais jouir d'une plus grande liberté que dans le monde du show-business, je m'étais trompée, indubitablement. Ce n'était pas le même genre de contraintes mais ici aussi tout le monde observait sans cesse le moindre de vos faits et gestes, les rumeurs allaient bon train et on ne pouvait pas faire ce qu'on voulait. Je poussais un soupir un peu résigné, mais mon tout nouvel allié semblait avoir malgré tout des idées à me proposer.

Réserver la salle.. Je n'avais pas du tout envisager à la possibilité de réserver la salle et c'est clair que a priori ce serait vraiment cool. Dans ces conditions, je pourrais m'entrainer et chanter sans avoir à me soucier de quoi que ce soit. Bon, d'un autre côté, ainsi que Jun le faisait remarquer, certains élèves risquaient de ne pas comprendre et il fallait admettre que c'était un peu égoïste. La salle de musique était supposée être à tout le monde. Néanmoins, des solutions étaient envisageables et ça, c'était super. Me tapotant doucement les lèvres du bout de l'index je réfléchissais à ce qu'il venait de me dire. Je sortis de mes pensées quand Jun me demanda mon avis sur sa proposition.

« J'en dis que tu me sauves la vie ! » Répondis-je sur un ton guilleret. « C'est clair que réserver la salle de temps en temps ce serait génial et si t'es sur que les autres membres tiendront leur langue, je suis prête à te faire confiance... » J'achevais ma phrase en lui adressant un sourire reconnaissant, avant de poursuivre, me sentant malgré tout obligée de nuancer quelque peu. « Cela dit, ça me gêne un peu de réclamer un traitement de faveur. Il n'y a pas de raison pour que je sois privilégiée et je veux être sure que ça posera pas un soucis. »

Je me demandais ce que mon aîné allait bien pouvoir raconter pour expliquer ce soudain changement dans le fonction du club et comment il envisageait de s'y prendre avec les membres. Mais j'étais plutôt rassurée car il avait l'air de savoir ce qu'il faisait. En même temps, j'étais un peu gênée de devoir lui demander tout ça et je ne voulais pas poser de problème. Je passais machinalement une main dans mes cheveux pour replacer une mèche rebelle en arrière.


« En tout cas, je te remercie, t'as pas idée du poids que tu m'enlèves. Je redoutais un peu de tout déballer et finalement, je suis vraiment contente de m'être confiée à toi. » Décrétais-je avec un sourire enjoué avant d'ajouter sur le ton de la plaisanterie et avec un air faussement menaçant: « Ah, et, j'te préviens, si jamais ça part en sucette, je te réquisitionne d'office pour signer les autographes ! »

Avec un petit rire au coin des lèvres, je contournais le président pour me poser sur le banc du piano contre lequel il était appuyé. Je me mis à caresser distraitement les touches du clavier du bout des doigts, puis, presque machinalement, je recommençais à jouer la mélodie d'accompagnement sur laquelle je travaillais un peu plus tôt. Tout en me laissant entrainée par la musique, je demandais à l'étudiant:

« Dis moi, comment tu gères ça au quotidien toi ? La popularité, et tout ça ? Au moins, dans le milieu du showbizz, on est super encadrés et on est rarement livré à nous même au milieu des hordes de fans et de journalistes. Comment tu fais pour supporter d'avoir des midinettes éperdues d'admiration bavant à tes pieds toute la journée ? »

Pour la première fois depuis mon arrivée à Keimoo, je me sentais réellement positive. Jusque là je n'avais pas vraiment réalisé à quel point cela me pesait de ne pas vraiment pouvoir être moi même. Désormais, je n'étais plus seule à devoir supporter le poids de mon secret, j'avais trouvé un allié avec qui je pouvais partager tout ça et j'en étais sincèrement heureuse. Non seulement il avait immédiatement accepté de m'aider mais en plus il abordait mon soucis de manière très pragmatique. Il voyait les choses dans leur ensemble et prenait vraiment en compte tous les aspects du problème. La personnalité de Jun était vraiment agréable, il était de bonne compagnie et je sentais que je pourrais vraiment très bien m'entendre avec lui. J'écoutais mon aîné expliquait que le rôle des clubs était aussi de rapprocher les élèves comme une sorte de seconde famille où ils pouvaient trouver soutien et conseil. Maintenant que j'y pensais, c'est vrai que c'était un peu mon ressenti. En tout cas, je ne voyais pas du tout cela comme un excès de surveillance, je trouvais l'ambiance au contraire très fraternelle et accueillante. D'ailleurs, le Club de Musique était de très loin ce que j'aimais le plus à l'académie.

Sur la demande de mon aîné, j'avais fouillé dans mon sac à la recherche de mon emploi du temps. Le moins qu'on puisse dire c'est que je n'étais pas une reine de l'organisation. En général j'entassais mes cours un peu n'importe comment dans mon trieur avec les documents administratifs qu'on nous donnait parfois. Il n'y avait que la première section qui était réservée à la musique et on y trouvait en vrac des partitions, des brouillons de paroles et de compositions, des idées de chansons, souvent sans queue ni tête qui formait un joli tas de papiers plus ou moins gribouillés. Quant à l'emploi du temps, il n'avait pas vraiment de place précise. Si par exemple la dernière fois que je l'avais sorti, c'était en cours de math, alors il avait toutes les chances de se trouver entre deux feuilles de calcul. Quoi qu'il en soit, j'avais fini par remettre la main dessus et l'avait tendu à Jun, tout en regardant par dessus l'épaule de ce dernier le planning qu'il me présentait. Ainsi, il fut plus facile de repérer les créneaux horaires qui pouvait convenir à une ouverture « privée » de la salle de musique. De toute façon, il n'y avait pas besoin que ce soit des horaires fixes, on pouvait très bien voir d'une fois sur l'autre, ainsi, si j'avais un empêchement, Jun n'ouvrirait pas la salle pour rien. Après quelques instants de réflexion, j'avais finalement proposé :

« Hum, on pourrait dire Mardi prochain entre midi et deux, et on verra à ce moment là pour la fois suivante ? »

Le système n'était peut être pas parfait, mais du moment que cela me permettait de travailler ma voix de temps en temps, c'était toujours ça de gagné. Si on trouvait une meilleure possibilité, on aviserait mais sinon, c'était déjà très bien. Ça restait largement mieux que de ne pas pouvoir chanter du tout.

Alors que mes doigts courraient sur les touches du piano dans un rythme soutenu et agréable, je laissais la symphonie s'immiscer en moi. Je ne connaissais rien de mieux que la musique pour se vider la tête, décompresser et se détendre. D'ailleurs, je me demandais bien comment certaines personnes faisaient pour vivre sans, pour moi c'était inconcevable. Des idées de paroles, quelques notes par ci, par là s'imposaient peu à peu à moi tandis que j'écoutais Jun me parler de sa propre expérience de la popularité étudiante. J'avais bien du mal à comprendre l'engouement des autres adolescents pour ce trafic de rumeurs et de commérages. Qu'est ce qu'on pouvait bien en avoir à faire de savoir que Bidule avait perdu sa virginité avec Machin à la fête de Truc et que Machin avait trompé Machine avec Bidule ? Et ça, c'était sans parler des rumeurs inventées et des humiliations délibérées. Certaines personnes semblaient prendre leur pied en rabaissant les autres, comme si cela pouvait les rendre meilleures. Le terme « Jungle » employé par le président du Club décrivait en effet plutôt bien le fonctionnement de l'académie, un monde où les lions se battent entre eux pour dominer, tout en écrasant de concert impitoyablement les animaux plus faibles. Je secouais la tête en laissant échapper un léger soupir.


« Les gens ont vraiment rien de mieux à faire. On se croirait dans cette série américaine là, Gossip Girl. » ricanais-je, m'amusant à imaginer Jun dans le rôle de Serena Van Der Woodsen.  Keimoo ou l'Upper East Side japonais avec également son propre blog pour reporter tous les potins autour de ses « élites ». Suite à la question de mon sempai, je réfléchis un instant. J'avais bien du entendre des filles de ma classe parler d'un blog, mais n'y accordant moi même aucune considération j'avais probablement du occulter l'information.  «  Et non, en effet, j'ignorais complètement qu'il y avait un blog...  Ça ne peut pas être pire que la presse à scandale, si ? »

J'eus un léger rictus en repensant à ce que j'avais traversé ses derniers mois, et sans même en avoir pleinement conscience, j'accélérais la cadence de mes doigts sur le clavier, rendant le rythme légèrement plus agressif.

« En tout cas, ces tabloïds, c'est vraiment les rois pour se jeter sur la moindre rumeur sans se soucier que ce soit vrai ou pas. » commentais-je, blasée, avant d'ajouter avec un large sourire ironique faisant référence à tout ce que mon sympathique ex-petit ami avait fait circuler sur mon compte : « Non, parce que, c'est bien connu, je suis une traînée... »

Si j'avais été blessée par cette histoire, à ce moment précis, je m'en amusais. Le simple fait que je puisse aborder ce sujet sensible de façon aussi désinvolte montrait bien à quel point je me sentais à l'aise et en confiance avec le jeune populaire. Et puis ça me faisait aussi du bien de pouvoir parler de tout ça à quelqu'un d'autre qu'à mon frère. Mes lèvres s'ourlèrent en un léger sourire tandis que je déclarais, de manière plus générale:

« Honnêtement, parfois, ça vaut même pas la peine de se fatiguer à essayer de démentir, on y peut rien s'il y a des millions d'abrutis qui aiment croire tout ce qu'on leur raconte. D'ailleurs, je me dis que si ça leur fait tant plaisir, autant leur donner raison, c'est plus drôle. »

Quitte à être accusé de quelque chose, autant que ce soit vrai, sinon ça vaut pas le coup. Il valait en effet mieux braquer une banque et aller en prison, que de ne pas le faire et d'être condamné quand même, parce que dans le second cas, on avait de quoi être passablement frustré. En revanche, si on était bel et bien coupable, alors il s'agissait juste d'assumer ses actes. Logique imparable, quoi qu'un peu douteuse. J'avais prononcé ces derniers mots d'un air parfaitement sérieux, mais, évidemment je plaisantais à moitié. Je n'allais pas réellement devenir la dernière des traînées parce qu'un connard avaient déclaré que j'en étais une, mais rien ne m'empêchait d'en jouer. Quand on est dans une situation détestable, il vaut mieux en rire, ça fait relativiser.

J'écoutais les explications de mon aîné au sujet du fameux blog tant redouté par les élèves de Keimoo et j'avais un peu du mal à vraiment appréhender la chose. Je me demandais comment un tel site pouvait être fonctionnel car il était impossible pour une seule personne (en supposant qu'une seule personne se cache derrière le pseudonyme d'Hana ♥) puisse être au courant de tous les potins qui courraient sur les différents élèves du lycée. Ce n'était possible qu'à condition que chacun y participe en reportant ce qu'il avait vu sur untel ou unetelle, laissant à la mystérieuse blogueuse le soin de tout centraliser. Par conséquent ça semblait un peu hypocrite de ne se plaindre que des rumeurs circulent car si personne n'y prêtait attention, ça n'existerait tout simplement pas.

En tout cas, je n'avais pas vraiment vu jusque là les choses de la manière dont Jun venait de me les présenter car, effectivement, pour un lycéen un peu timide qui n'avait jamais souhaité se démarquer pouvait se retrouver ficher pour un simple faux pas et subir les moqueries des autres. Bon pour être honnête, je n'arrivais pas vraiment à m'en inquiéter dans la mesure où j'avais pour ma part l'habitude d'avoir mes moindres faits et gestes épiés et photographiés à chacune de mes sorties, et puis je n'avais rien de réellement fâcheux à cacher. Au pire, si mon secret devait être découvert, j'aurais simplement à renoncer à la relative tranquillité que j'avais trouvé ici et je m'en accommoderais.

Je n'étais pas vraiment surprise quand Jun m'informa qu'il n'était pas au courant pour les détails de mes mésaventures avec les tabloïds, il ne me semblait effectivement pas du genre à lire ce genre de potins sur les célébrités et il avait bien raison. J'aurais bien aimé qu'il y ait davantage de personne comme lui, jugeant un artiste seulement par sa musique sans avoir besoin de s'intéresser à sa vie privée. En parlant de musique d'ailleurs, l'étudiant venait de me rejoindre sur le piano, ajoutant ses propres accords, des notes douces et apaisantes qui épousaient le rythme plus soutenu et agressif de ma mélodie. Le rendu de l'ensemble était étonnant, intéressant et superbe, il y avait un réel échange entre nos deux contributions qui s'accordaient harmonieusement. Ses notes exprimaient le soutien presque fraternel qu'il m'apportait bien mieux que ne pourraient le faire des mots. Je souris, affichant la joie que me procurait la musique et je me décalais légèrement sur le tabouret pour laisser davantage de place à mon aîné.

Tout en écoutant la mélodie, je méditais sur ce que Jun venait d'énoncer.  Effectivement, si je révélais mon secret, nul doute que je serais immédiatement entouré d'admirateurs et de curieux souhaitant faire ami-ami avec « une personne comme moi ».  C'était drôle de constater comment les gens réagissaient de manière complètement différente dès qu'ils étaient en présence d'une personne célèbre. Une personne comme moi... Je voyais tout à fait ce qu'il voulait dire. La plupart des gens agissent de manière complètement différente  J'avais l'habitude d'avoir affaire à des gens qui me plaçaient sur une sorte de piédestal et s'adressait à moi avec une quasi vénération. D'une certaine manière j'étais contente que mon talent en tant que chanteuse et musicienne soit reconnue mais personnellement je ne me pensais pas du tout supérieure à qui que ce soit simplement parce que j'étais une célébrité. J'étais juste... moi. C'était d'ailleurs un peu cet aspect hypocrite des relations en tant que célébrité qui me faisait apprécier d'autant plus cet aperçu d'une vie « ordinaire » que j'avais trouvé ici. Je savais que cela ne pourrait être que temporaire mais j'en appréciais l'expérience. Cela dit, je n'étais pas pour autant allergique à la popularité, j'étais bien obligée d'admettre que ça avait aussi bien des côtés attirants et ce serait mentir que de prétendre que je n'aimais pas profiter de ma célébrité. J'avais d'ailleurs toujours adorer le contact avec mes fans, du mois la plupart du temps. Aussi je comprenais parfaitement la position du président du club de musique.

« C'est clair qu'il y a pas mal de côtés sympa, difficile de dire le contraire. Et puis, en ce qui me concerne, si j'aimais pas être sous les projecteurs j'aurais choisi une autre carrière. »  commentais-je en réponse d'un ton enjoué avant d'ajouter : « Mieux vaut être critiqué et faire parler de soi, que tomber dans l'oubli. »

Il n'y avait rien de pire lorsqu'on était dans un milieu comme le mien que d'être relégué aux oubliettes car cela signifiait presque immanquablement la fin d'une carrière. Alors que, tant que les gens continuaient à s'intéresser à vous, même si la publicité n'était pas positive, cela contribuait à attirer l'attention et la curiosité et ça faisait vendre. Voilà l'une des choses que la maison de disque qui me produisait m'avait appris. Conservant toujours mon humeur joviale, je repris en riant:  

« En tout cas, j'irais regarder ce blog, histoire de savoir tout ce qu'on raconte sur toi ! » En réalité, bien évidemment, j'en avais rien à faire des rumeurs plus ou moins fondées qui circulaient sur le site. Pour moi,  si on voulait connaître quelqu'un, la meilleure approche c'est encore de discuter avec la personne, découvrir ses goûts, son caractère et faire sa connaissance, ce n'était certainement pas d'aller lire toutes les rumeurs la concernant, fussent-elle vraies. «  Je pourrais peut être même apporter ma contribution,  'Il semblerait que Jun Masato soit ami avec Diamond, il a été vu composant une chanson avec la chanteuse ' ça le fait non ? » plaisantais-je tandis que mes doigts continuaient à courir sur le clavier reprenant la mélodie en boucle. « D'ailleurs, ça m'inspire... tu voulais m'entendre chanter je crois ? »

La présence de mon aîné au piano à mes côtés  m'avait en effet donné un nouvel élan de motivation et cela me donner plus que jamais envie de chanter, aussi je laissais les mots venir un peu au hasard, en désordre et je me lançais. Bien sur, c'était davantage une soupe de parole sans queue ni tête, quelque vers s'accordant à la musique, des rimes tantôt en anglais, tantôt en japonais, une ébauche de refrain. L'ensemble était un peu brouillon et désordonné, car contrairement à ce que je pouvais dire lors des interviews, écrire des paroles c'est loin se faire comme ça, mais ce n'était pas important en cet instant. Je prenais seulement un plaisir indescriptible à improviser sur la mélodie laissant livre court à mes émotions, plaçant ma voix sur les accords et chantant les notes que m'inspirait l'air. C'était dynamique, entrainant avec une touche de rébellion et de provocation. Ma chanson parlait de surmonter les épreuves, faisant référence à l'abandon, mais aussi de détermination, de courage, de rêve et de triomphe face à l'adversité. Il y avait à la fois de la tristesse, de la fierté et aussi de la reconnaissance envers ceux m'apportant leur soutien. Toutes mes chansons étaient toujours inspirées de mon vécu et de mes émotions. Un certain nombre étaient d'ailleurs dédiée à ma mère dans leurs allusions, cette femme qui était parti sans un regard pour ses enfants, et je me demandais si parfois elle me regardait quand je passais à la télévision, si elle écoutait ma musique et si elle pensait à moi de temps à autre. J'aurais pu continuer mon improvisation longtemps comme ça laissant libre court à ma sensibilité mais après plusieurs minutes je décidais de laisser plutôt le rythme ralentir et jouais les dernières notes au piano avant de faire taire la musique, sourire aux lèvres.

« Faut pas que t'hésites à m'arrêter,  j'pourrais passer toute la nuit à improviser du n'importe quoi juste pour le plaisir de chanter. » terminais-je par déclarer en riant.