Forever may you run

En cette journée, Elora n’avait cours que le matin et donc, elle pouvait se rendre sans aucun soucis au déjeuner que son père lui avait proposé. Bien évidemment, vu la colère qu’elle renfermait pour son père depuis qu’elle avait découvert l’existence de sa demie-sœur en Afrique du Sud, elle avait longtemps hésité avant d’accepter. En réalité, elle n’avait pas spécialement envie d’y aller. Mais il avait insisté, précisant qu’il avait quelque chose de très important à lui dire et surtout, qu’il avait envie de la revoir depuis son retour. Elle ne l’avait pas contacté justement et cela le blessait un peu quand même. Un brin curieuse, la jeune hollandaise avait fini par accepter l’invitation. Ainsi, elle laissa son père se charger du reste.

Dès que le dernier cours fût terminé, elle partit en direction du parking pour prendre sa voiture et enfin, rouler vers le restaurant qui se trouvait dans le centre-ville. Le matin même, elle s’était habillée de sorte que son look passât pour la vie quotidienne mais également pour un restaurant de luxe comme celui choisi par son père. Elle avait pris le temps de faire un rapide brushing et enfin, elle s’était maquillée de façon très naturelle. Elle se doutait que sa tenue ne plairait probablement pas à son père qui la trouverait trop mondaine, mais elle n’avait pas le choix. Pour rien au monde elle ne raterait ses cours. Puis, des retrouvailles dans un restaurant ne méritaient certainement pas une tenue de gala. Malgré la haute distinction de l’établissement, Elora ne s’en préoccupait pas. Elle n’appréciait pas ce genre d’endroits, trop « vieux » à son goût. Elle adorait le luxe, oui. Mais le luxe moderne.

Elle arriva une vingtaine de minutes plus tard devant le restaurant. Elle mit quelques temps à trouver une place pour se garer, ne souhaitant pas confier sa voiture à celui qui s’en chargeait. Son 4x4 était tout pour elle, alors ne laissait personne d’autre s’en occuper. Avant de sortir du véhicule, elle changea ses ballerines pour une paire d’escarpins noirs passe-partout, à petits talons. Elle était déjà assez grande comme cela, elle n’avait pas besoin de rajouter encore une dizaine de centimètres à sa taille. Enfin, elle prit soin de fermer la voiture et marcha en direction du restaurant. Les portes lui furent ouvertes avant même qu’elle n’eût à le demander. Les japonais l’accueillirent avec sourire. A l’accueil, elle donna son prénom et une serveuse vint la prendre afin de l’amener à la table que son père avait réservée.

Trop préoccupée par le fait qu’elle ne trouvait plus son portable dans son sac, elle avançait en suivant la serveuse mais sans vraiment regarder là où elles allaient. Rien ne l’importait autour d’elle. A un moment, elle finit par s’arrêter, un peu agacée, et continua à chercher son portable. Celui-ci était tombé au fin fond du sac et quand elle fut enfin en sa possession, rassurée de ne pas l’avoir perdu, elle soupira. La jeune femme releva alors la tête. La serveuse n’était pas très loin, postée à côté d’une table et elle la regardait intensément, attendant qu’elle s’approchât et prît place à sa table. Elora recommença alors à rejoindre son père. Mais très vite, elle vit qu’il n’était pas tout seul, mais en présence d’une vieille connaissance. Cameron Donovan. Son expression sur le visage changea, étant un brin ébahie tout de même. Elle n’avait pas été prévenue de la situation. Et au vu de la réaction du jeune homme en question, lui non plus.

Théo se leva, un grand sourire sur les lèvres. Les quelques mots qu’il prononça à cet instant-là, Elora ne les entendit même pas, trop concentrée sur Cameron. Cela faisait bien deux ans qu’ils ne s’étaient pas revus. Ayant entretenus une relation sexuelle régulière pendant un certain temps, ils avaient fini par se voir de moins en moins souvent, pour au final ne plus se voir du tout. Sans que l’un ou l’autre en voulût à l’autre. Le père d’Elora s’approcha d’elle pour la serrer dans ses bras. A ce moment, elle tourna la tête vers lui, avec une expression plutôt en colère, et le stoppa net dans ses intentions en se reculant d’un pas et le bloquant de la main.

- Avant toute chose, tu vas me dire ce qu’est toute cette mascarade ! ordonna-t-elle à son père d’une voix froide.

La présence de Cameron ne signifiait rien de bon. En tout cas, c’était le pressentiment de la jeune femme. Surtout que le fait qu’il venait également lui avait été caché. Cela la mit déjà un brin en colère, car elle ne supportait pas ce genre de petits coups bas. Ce n’était pas contre Cameron, loin de là. Mais déjà qu’elle n’appréciait pas son père dernièrement et n’avait pas eu envie de venir à la base, le déjeuner commençait vraiment pas bien du tout.

- Assieds-toi Elora, je veux justement en parler pendant le repas, lui répondit Théo, d’une voix sèche également, comprenant que sa fille n’était pas d’humeur pour de joyeuses retrouvailles.

Malgré tout, elle s’exécuta. Elle enleva son manteau pour le mettre sur la chaise et posa son sac sur une autre chaise. Elle avait vraiment hâte de connaître les explications de son père par rapport à la situation. La serveuse apporta alors les cartes avec les menus et tout le monde se plongea dans la lecture de celui-ci. Le silence s’installa.

Préférant se concentrer davantage sur son menu plutôt que sur les deux hommes, qui ne l’intéressaient pas du tout, Elora ne leur lança aucun regard. Peu lui importait si cela ne leur plaisait pas. Son père devait se sentir mal à l’aise à cause de cette situation, mais elle en était presque ravie vu toute la haine qu’elle lui portait depuis plusieurs mois. Quant à Cameron, elle ne l’avait pas revu depuis plusieurs années, alors elle pouvait comprendre qu’il ne sût pas la raison de son comportement, mais elle n’allait pas s’excuser. Depuis son retour, elle était impitoyable même avec ses anciennes connaissances. Elle ne s’ouvrait à personne et ne laissait entrer dans sa vie que très peu d’entre eux. Si Cameron avait l’intention de renouer un contact avec elle, cela leur prendrait du temps. Ce n’était pas contre lui, il n’avait rien fait de mal. Mais Elora avait changé et s’était encore plus renfermée sur elle-même pour se protéger. Or une fois qu’elle eût décidé d’une chose, elle ne changeait pas d’avis aussi facilement. Elle était têtue et bornée, c’était certain.

La voix de Cameron s’éleva alors et Elora daigna lever des yeux distraits sur les deux hommes, simplement pour observer la réaction de son père notamment. Intérieurement, la remarque du jeune homme la fit sourire méchamment. Elle connaissait suffisamment son père pour être sûre que ce dernier n’était pas encore prêt à leur dévoiler la nouvelle et la raison de leur présence à tous les deux dans ce restaurant. Ainsi, elle savait parfaitement que Théo éluderait encore une fois la requête de celui-ci. Bien évidemment, elle était tout aussi curieuse que lui de connaître les pensées de son père. Il allait certainement attendre le moment où leurs plats seraient devant eux pour commencer. Il n’était pas idiot, il se doutait bien que s’il disait quelque chose qui ne plairait pas, Elora allait se lever et partir. Il avait envie de la retenir le plus longtemps possible. Surtout que récemment, il ne la voyait pas beaucoup.

- Voyons Cameron, ne voulez-vous pas savoir comment s’est déroulée la vie de ma fille à San Francisco ? demanda-t-il.

Elora, exaspérée, retourna à la lecture de son menu. La réponse de son père, elle l’avait prévue et donc, elle n’était pas surprise du tout. Elle sut d’ailleurs qu’après cette question rhétorique pour éviter de répondre, il avait tourné la tête vers elle et attendait une réponse. La jeune hollandaise était certaine que Cameron également souhaitait en savoir plus sur sa vie depuis la dernière fois qu’ils s’étaient vus. Elle soupira intérieurement, réfléchissant à ce qu’elle pouvait bien leur dire. Peu encline à trop parler, elle n’avait pas envie de leur dévoiler tout ce qu’elle avait fait et vécu. Cela ne servait à rien. En même temps, elle savait parfaitement qu’une réponse rapide ne suffirait pas à attiser la curiosité de son père. Ce n’était donc pas évident du tout.

- Rien de bien intéressant à l’horizon, dit-elle tout simplement, sans même les regarder et restant cachée derrière sa carte, d’un air détaché. J’ai travaillé dans une agence d’architecte. J’ai rencontré des gens avec qui je me suis amusée et fait la fête. J’ai visité les moindres recoins de San Francisco. J’ai été promue. J’ai démissionné et cherché du travail autre part. Puis je suis revenue.

Les grandes lignes de cette année et demie passée à l’étranger. Elle ne leur parla pas de sa rencontre avec Tang Kageyama, qui était en réalité la raison de son retour. Il l’avait convaincue de revenir à Keimoo et poursuivre ses études pour les terminer et obtenir son diplôme. Cela, ils n’avaient pas besoin de le savoir. Son père était sur le point de lui poser des questions complémentaires, quand une serveuse arriva et leur demanda s’ils avaient choisis. Supposant la galanterie des hommes, Elora prit la parole en premier. Elle commanda alors une salade en entrée et rien pour le plat. Elle ne mangeait pas beaucoup et elle savait parfaitement que l’entrée suffirait à lui remplir le ventre. De plus, elle ne trouvait pas de plat suffisamment sain et peu gras pour la satisfaire. Pour accompagner cela, elle demanda simplement une carafe d’eau. La serveuse prit ensuite les commandes des hommes et partit.

- Elora, tu m’inquiètes, tu ne manges pas beaucoup, dit son père avec un air peu inquiet en réalité.
- Si tu avais été plus présent à la maison, tu saurais que je ne mange pas beaucoup depuis très longtemps, répondit-elle en sifflant entre ses dents, mauvaise.

Elle n’avait pas envie de crier dans le restaurant, car ce n’était pas l’endroit propice. Toutefois, elle lui avait lancé un regard meurtrier pour qu’il pût comprendre qu’il était allé trop loin dans ses réflexions. Elora refusait qu’il tentât de se comporter comme un père, alors qu’il ne l’avait jamais été. Tout ce qui l’avait toujours intéressé, c’était son travail, sa position, son pouvoir et son argent. Sa famille, il n’en avait rien à faire depuis toujours. S’il était revenu, c’était pour profiter de la richesse familiale de la mère d’Elora et utiliser celle-ci, complètement amoureuse de lui. Quand la hollandaise avait compris cela, elle en était venue à le détester. Il la dégoûtait désormais dans tout ce qu’il avait fait et faisait. Tant qu’elle pouvait vivre éloignée de lui, elle s’en portait bien mieux.

- D’ailleurs, je te l’ai pas dit mais j’ai vécu en Afrique du Sud pendant trois mois en début d’année, dit-elle d’un air méchant. J’étais mutée là-bas pour un projet.

Elle laissa un instant de silence s’installer afin de voir la réaction de ce dernier. Or son père s’était tourné vers Cameron, lui souriant tout simplement et s’approchant de son oreille pour lui murmurer quelque chose. Comme s’il n’en avait rien à faire de ce que sa fille lui racontait. Ce qu’il avait dit au jeune homme, elle ne put l’entendre mais cela eut le don de l’énerver encore plus. Elle soupira fortement et regarda son père encore une fois avec des yeux meurtriers. Cameron ne l’intéressait pas et quelque part, elle en eut presque pitié. Le pauvre se retrouvait entre un père et sa fille en plein conflit.

- J’ai rencontré Ilona Van Alen, continua-t-elle. Tu veux peut-être en parler, papa?

Là, elle l’aperçut se glacer. Elle savait parfaitement qu’il était au courant de l’existence de sa troisième fille. Elora sourit, comme victorieuse. Mais Théo se redressa sur sa chaise après s’être éloigné du jeune homme.

- Voyons Elora, il y a bien des Van Alen dans ce monde, répondit-il simplement, avec un grand sourire. Je ne la connais pas du tout.

Elora serra les dents pour se contrôler afin de ne pas crier. Elle avait envie d’exploser, de frapper la tête et de mettre son père en face de la vérité. C’était un monstre, c’était tout. Elle le regarda simplement, totalement énervée.

- Ouais, c’est ça, on en reparlera, dit-elle. En attendant, Cameron, si vous nous racontiez quelque chose.

Elle avait besoin d’entendre le jeune homme parler pour faire descendre sa colère. Peu lui importait ce qu’il allait dire, de toute façon elle ne l’écouterait certainement pas avec une grande attention. Elora avait vraiment envie de partir de ce restaurant, mais elle restait par pure politesse. Mais sa patience avait des limites, qu’elle sentait bientôt atteintes. Alors, elle souhaitait se calmer un peu avec la douce voix de Cameron.