Game Over [PV Alix]

GAME OVER (ft.Alix Jäger)

L’animation de fin de partie apparaît sur mon écran alors que mes équipiers et adversaires se lèvent à tour de rôle autour de moi pour se serrer la main ou simplement discuter du jeu. Comme à l’accoutumée, je reste enfoncé dans mon siège jusqu’à ce que tout le monde soit parti, l’air profondément ennuyé. Il va bientôt falloir que j’aille recharger ma carte à la borde si je veux continuer de jouer. La manette posée sur ma cuisse, les bras tendus sur les accoudoirs, la tête penchée vers l’arrière, j’attends que d’autres personnes prennent place pour recommencer une partie. Je n’ai jamais vraiment apprécié les FPS, je n’ai jamais aimé les jeux de guerre et pourtant je me retrouve dans un bar gaming, entouré d’inconnus, en train de jouer à un jeu qui ne m’intéresse même pas. Cela fait quelques semaines que j’ai recommencé à fréquenter ce genre d’endroits. Quand j’étais au collège, il était souvent question d’aller à la salle d’arcade après les cours – à défaut d’être inscrit dans un quelconque club – et d’oublier le monde réel en se plongeant dans divers univers en 2D. La seule différence étant qu’à ce moment de la vie, je n’étais pas seul derrière mon écran.

Kaspar aimait beaucoup les jeux de combat et me forçait relativement souvent à jouer contre lui. Je n’étais pas très emballé par l’idée, mais je finissais toujours par céder. Je n’avais pas grand-chose de mieux à faire après tout. Quoiqu’en y réfléchissant, j’aurais peut-être pu profiter de la présence de ma sœur à la maison un peu plus longtemps. Je ferme les yeux quelques secondes en me massant les tempes. Quand elle disait vouloir partir en Europe pour mener des études d’archéologie, je n’y croyais pas trop. Et pourtant quelques mois plus tard, j’ai moi-même assisté à son départ à l’aéroport. Mais Kaspar était toujours là. Sa présence m’était agréable et je suppose que c’était réciproque en vue du temps que nous passions ensemble. Mais voilà, avec du recul, j’ai l’impression que nous étions amis simplement par défaut. Nous ne partagions pas grand-chose, que ce soit en termes de goût ou autre chose. J’étais sans doute le moins pire parmi son entourage, et probablement que je n’avais pas trouvé mieux non plus pour ma part.

Je garde pourtant de bons souvenirs de notre temps passé ensemble. La plupart de nos échanges étaient silencieux, nous parlions rarement de nous. Ainsi, nous nous limitions à un sujet que nous connaissions tous les deux : les jeux vidéos. Puis au début du lycée, Kaspar est parti. Tout comme mon aînée, il s’est envolé vers l’Europe afin d’y continuer ses études. Je ne me souviens pas avoir été particulièrement triste lorsqu’il m’a annoncé la nouvelle. Nous nous sommes simplement serré la main et avons marché chacun de notre côté. Les premiers mois, nous nous envoyons régulièrement des lettres, puis les textos devenaient de plus en plus rares, de même pour les appels. Il y a eu ma rencontre avec Naoko sur le toit du lycée il y a deux ans et demi, puis l’irruption de Zakuro dans ma routine. And more. Always more. Tant de petits changements dans mon quotidien que je finis par me demander si je n’ai pas changé moi-même.

Et puis il y a eu la lettre. Celle où il m’a annoncé qu’il revenait au Japon pour valider un diplôme de valeur internationale. Inconsciemment, j’ai repris mes vieilles habitudes. Et c’est l’une des raisons de ma présence ici. Les jeux, les chocolats chaud pour se revigorer les soirs d’hiver.

3

J’aurais préféré qu’il ne me contacte pas et que l’on continue de vivre chacun de notre côté. Certaines relations sont faites pour couler et ne jamais resurgir à la surface. Mais bien sûr, j’imagine que ce qui l’intéresse, c’est de ne pas se retrouver seul.

2

Comparé à moi, l’allemand ne semblait pas suffisamment apprécier les moments de solitude. En y réfléchissant, je le trouverais peut-être même envahissant si j’avais à le revoir maintenant. Quand nous étions au collège, il n’y avait pas une seule récréation qu’il passait dans son coin à écouter de la musique. Même classe ou nous, il finissait toujours pas venir à mes côtés, quitte à engager une conversation avec lui-même alors que je somnolais au rythme des quelques morceaux enregistrés sur mon téléphone portable.

1

Mes doigts se cramponnent à la manette, mon pouce gauche fixé sur le joystick, je m’apprête à prendre un bon départ. L’objectif du jeu est de voler le drapeau ennemi et le poser dans sa base avant la fin du temps imparti. La tension monte autour de moi, je peux presque sentir les autres joueurs frémir à quelques mètres.

GO !

La manette m’échappe d’entre les doigts alors que les équipiers sursautent à l’entente de la collision du sol et de la manette. Bien évidemment, je n’ai pas de chance et elle se retrouve bien plus loin qu’elle ne devrait l’être, à un endroit inaccessible si je ne veux déranger personne. Nous prenons un bien mauvais départ. Sans faire attention à qui je m’adresse alors que je me retrouve à genoux sur le sol pour récupérer l’objet tombé au sol, je finis par demander l’aide à la personne se trouvant le plus proche de la manette.

« Excusez-moi. P-pourriez-vous attraper ma manette, elle est tombée…je n’ai p-pas fait exprès. »

Headshot. Fait la voix off alors que je tente toujours désespérément d’interagir avec le gamer concentré. Au même moment, une serveuse sauvage fait irruption dans la zone, attirant l’attention d’une partie des joueurs.

« Désirez-vous une boisson ? Un encas ? »