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 JE SUIS HEL.

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AuteurMessage
Kohaku Joshua Mitsumasa
♣ Université - 4ème année
Kohaku Joshua Mitsumasa


Genre : Non Binaire Verseau Coq Age : 30
Adresse : Hiryuu : 05 rue de la Chance, app 32 ou la Chambre 110 de l'université ou chez Zakuro.
Compteur 665
Multicompte(s) : Lawrence E. Swanster | Populaire

KMO
                                   :

JE SUIS HEL. Empty
MessageSujet: JE SUIS HEL.   JE SUIS HEL. EmptyDim 10 Aoû 2014 - 6:25

Nuit du 31 décembre 2013 au 1er Janvier 2014.

JE SUIS HEL.

Et j'ai brûlé la terre des hommes.


Tu as une jolie voix, Joshua, me disait-elle souvent, alors que je grimpais comme un chaton aux membres maladroits sur le piano de Karine. Tu as une jolie voix, alors chante pour moi, Joshua. Je crois qu’elle souriait, ces jours là, non-seulement parce qu’elle avait trouvé un moyen de me tenir tranquille le temps de quelques chansons, mais aussi parce que ses vieux doigts se voyaient accordés l’opportunité de courir tels des danseurs sur les touches du piano. Carter était ma virtuose, ces beaux jours là, la mélodie à tous mes chants.


If this is to end in fire, then we should all burn together.


Et maintenant, Carter est plus vieille et décrépie que les châteaux anglais dont elle me relatait l’histoire lorsque j’étais enfant, défraichie comme un papier peint mal conservé, ridée, plissée et jaunie. Et ses yeux n’ont jamais vraiment brillé de vie, alors ma Carter souffle son chant mortuaire comme un cadavre, l’agençant aux notes que mes cordes vocales frappent, l’instrument aux paroles que j’emprunte. Ma Carter vibre contre mes tympans, fantôme dénué de douceur, spectre de vent, et mes doigts se froissent contre les briques d’un immeuble dont j’ai n’ai cure. Ma gorge se fend, ma langue me brûle et je suppose que ce sont des larmes d’acide qui perlent contre mes cils inférieurs.

Ne l’oublie pas. Tu as une si jolie voix, Joshua.



And if we should die tonight, we should all die together.


Les gratte-ciels projettent des ombres dantesques contre le trottoir sur lequel je me tiens, des ombres immobiles qui tressaillent à peine sous la friction de l’éclairage des réverbères environnants. Elles me plongent dans une obscurité partielle, assombrissant mon profil et allongeant ma silhouette. Pendant une seconde, je suis ce démon qu’Hell m’a prétendu être, ce Diable de démence qui attire pour mieux dévorer. Les couleurs du monde et les idiots qui vont avec. Le ciel. Cet œsophage qui laisse remonter les hymnes de décembre sert aussi à écraser et emporter ce qui est consommé au cœur de mon être et je vomi des chants pour mieux laisser place à l’humanité.  Je régurgite la mienne, je la crache, je la lance dans l’air. Je n’en veux pas, je n’en veux plus, je n’en ai jamais voulu, je –

« Qu’est-ce que tu chantes ? »

Un sursaut, irritant jusque le bout des ongles attachés à mes orteils. Mes yeux, sombres, luisants, des brins d’astéroïdes ayant malencontreusement atterris au sein de mon visage, observent la perturbation de par-dessous une épaisse rangée de cils. Et les cheveux oculaires découpent l’image d’une jeune femme en plusieurs sections, embrouillent des traits que l’éclairage polygonal des réverbères devrait rendre clairs. Elle se tient là, de grands yeux d’ébène qui communiquent de la curiosité plutôt que de la surprise, une frange, de la même teinte, ruisselant contre son front. Ses cheveux ne sont pas très longs, encadrent son visage comme le boa avec lequel on entoure les épaules d’une pin-up et coulent contre ses clavicules comme un plumage discret. Ses lèvres sont craquelées, usées par l’air de l’extérieur, par la pollution des voitures et le froid de la nuit, mais elle sourit, un sourire imbibé d’une arrogance connaisseuse qui trancherait mieux sur mes lèvres.

Je cligne des yeux.

« Je ne me souviens plus. Rien. Ou tout. I don’t know. »

Ma voix tremblote sur le bout de ma langue, vibre, pâteuse, derrière mes dents, avant de se faufiler jusqu’à la fille me faisant face, à demi-penchée de sorte à ce que vêtements trop grands me laissent tout le loisir du monde d’admirer son choix de sous-vêtements. Des loques de dentelles noires et effilochées.

Elle me considère vaguement, sa contenance pleine de voracité, avant d’opiner en ma direction, tendant sa main salie par je ne sais trop quel déboire pour que je puisse la saisir. Les pans de la vieille écharpe qui arrivent à peine à couvrir son cou coulent vers le sol comme des languettes de tissus sanglants. Du sang rouillé qui apprend comment sécher.

« Je suis Mei. Et toi ? »

Il y a dans l’attitude qu’elle me présente quelque chose de tellement désinvolte que mes viscères viennent se tordre douloureusement. Je suis confrontée à une autre gamine de son genre, plus vieille, plus petite, et, dans ma tête, une Yume fictive me demande de lui faire un câlin, tendant ses menues paumes destituées de café en ma direction comme s’il s’agissait de la réaction la plus logique et cohérente du monde. Je cligne des yeux et les fils oculaires viennent de nouveau entrecouper ma vision, ils la déchirent et la coupent et ma langue semble rouler dans de la vase.

« Je . . . Chester. »

Elle sourit, tellement simplette, tellement présente et la pensée qu’elle détonne dans le décor bourgeois de Tokyo m’effleure l’esprit. Cette gamine en loques s’expose tel un songe et j’hésite presqu’à la considérer réelle tant sa présence brusque la mélodie de mon silence. Elle dévoile quelques dents.

« Continue. Tu veux bien ? »

Ma gorge se racle.

-

« T’es pas du coin, toi, je me trompe ? »

Elle se fond dans le paysage comme une luciole dans une forêt, s’insérant dans le rythme décadent du décor qui l’entoure tout en conservant une part d’enchantement, quelque chose qui la rend mesmérisante, unique. Je la lorgne sans discrétion, laissant mes prunelles parcourir chacun des détails de son corps frêle, débutant sur ses bottes aux lacets défaits et gauchement rapiécés pour terminer sur le haut de son crâne, dans l’ébène de ses cheveux. Je la lorgne, pulvérisant les synapses qui me fichent une image d’un ciel blessé contre la rétine, et je la trouve belle. Belle comme la discorde.

Dans sa voix résonne une familiarité trompeuse, celle qu’on remarque chez les gens qui s’adaptent sans que le fait de devoir être un caméléon devienne leur dam, mais qui laisse persister dans l’air une impression de calcul, de vécu. C’est une familiarité bénigne, pourtant, mais dans laquelle roucoule la certitude de ne pouvoir entièrement s’exposer à autrui. C’est le renard qui jette des miettes de compliments au corbeau pour pouvoir goûter le fromage.

Je glisse ma langue contre les rides de mon palet, la passe en une série de mouvements hachés sur chacune de mes dents avant de lui répondre d’un ton neutre, vide :

« Non. »

Elle rit. Un rire discret, mais qu’on ne peut s’empêcher de vouloir qualifier de déployé tellement il sonne bien contre le murmure nocturne de la rue. Elle est cette luciole qu’on veut attraper et sur laquelle on referme nos paumes avec une innocence meurtrière, uniquement pour les rouvrir et les découvrir vides. Il me vient à l’esprit, dans le plat silencieux de mon ressenti, –tout taire pour tuer la cacophonie et vomir des chants lorsque cela ne suffit– que je voudrais la dévorer, lui ouvrir le crâne et sentir ses pensées se bousculer contre mes papilles gustatives. Sentir les ailes de la luciole battre dans ma gorge.

Je n’en fais rien, pourtant, je n’ajoute rien et elle poursuit sans se détacher de sa sombre candeur.

« Ça se voit. Dans ta démarche, dans la manière dont tu rabroues du regard les gens qui nous dépassent. »

Je la lâche instinctivement des yeux, les portant sur la silhouette d’une dame à la jupe bouffante, comme pour silencieusement peser ses mots. Je ne sais trop si elle s’éventre les lèvres pour saupoudrer notre dialogue de sarcasme ou si elle a réellement remarqué les quelques œillades que j’ai lancé sur autrui. À des gens autres qu’elle, à des gens autres que lui. Je n’ai pas envie de jouer, cette nuit.

La dame avance, ses pas me paraissant tous plus rapides et succincts que leurs prédécesseurs à mesure qu’elle les esquisse. Elle semble nerveuse, en proie à cette paranoïa empoisonnée que sème souvent l’obscurité. Pourtant, à mon sens, cette crainte palpable ne fait rien d’autre que de la rendre plus remarquable, l’écho de ses délicats talons hauts résonne plus fort, et son manteau noir me semble devenu jaune pétant. Il n’y a rien de discret à la peur. C’est un venin, une déchéance. Elle dépasse mon champ de vision et, une fraction de moi s’interroge sur la raison de sa peur, sur ce qui la fait presque courir sur le bitume du trottoir.  Sur un pourquoi, sur un méandre.

« Je me demande à quoi ils pensent. »

Elle éclate de rire, quelque part à ma droite et j’imagine la femme jeter un regard furtif par-dessus son épaule pour nous épier, pour s’assurer mentalement que nos ricanements ne sont points portés dans sa direction. Je mordille ma joue, à demi devenu la proie de mon propre humour. Si elle savait que nos yeux l’ont suivis un petit moment, serait-elle apaisée par notre absence d’actions à son égard ou soucieuse d’avoir été le centre de notre attention ? Mei glousse un peu plus fort et la nuit n’arrive pas tout à fait à avaler son amusement qui vrombit contre l’encre stellaire avec toute la fierté d’une jeune étoile. Tout comme le mien n’arrive pas vraiment à se manifester à l’air libre. Je lève mes prunelles contre un ciel noir.

À quoi penses-tu, Zakuro ?

« À leur routine, probablement. Ou à ce que leur vie serait si elle advenait à déroger du petit train-train qu’ils se sont, d’arrache-pied, construit. Ou peut-être qu’ils croisent simplement ton regard et qu’ils se demandent à quoi tu penses toi. »

Il y a un rire, muet, qui nait entre mes lèvres.

Oh.

« Moi, quand tu me fixes, je me demande à quoi tu penses, Chester. »
-

« Et sinon . . . les amours ? »

Mes pas se figent l’instant d’une milliseconde contre le gravier du chemin qu’elle nous fait emprunter et je la toise, interdit. Elle arbore ce sourire tout aussi effervescent que vague, qui ne semble pas enclin à quitter la surface de ses lèvres, comme logé dans un habitacle lui convenant trop bien. Je songe, une seconde, encore une fois, alors que mon esprit bégaie sournoisement en se focussant sur la définition du mot ‘amour’ qu’elle est magnifique. Magnifique comme la douleur.

Je fronce mes fins sourcils, une onomatopée interrogative se placardant dans l’air, comme l’étendard de ma confusion, apposant une innocence trompeuse contre les tendons de mes muscles. Il s’agit toutefois d’une question spontanée qui vient se saler de regrets, une question à laquelle je ne suis pas certain de désirer une réponse.

« Huh ? »

Un roulement d’yeux. Elle mord à l’hameçon aussi simplement qu’elle semble mordre dans tout. Déceptivement désinvolte. Elle hausse les épaules, l’hirsute composition de sa pilosité crânienne suivant le mouvement, et me jette un regard animé d’une pointe de condescendance.

« Bah, t’as une petite amie ? »

Ma langue vient heurter mon palet en un claquement qui ressemble plus à un craquement tant il est vicieux. Mes yeux fléchissent contre la chair de sa gorge et je m’imagine instinctivement lui arracher, enfoncer mes ongles dans sa trachée pour la faire taire, pour qu’elle ne puisse plus pisser ce genre de conneries de par sa petite bouche. Aucun son, aucun son et la société est éperdument désespérante de constamment centrer son intérêt sur un modèle relationnel qui ne fait que se répéter sur une ligne continue, variant si légèrement qu’on pourrait être porté à le croire constamment calqué. Une petite amie, un petit ami ou la manière classique de remplir des vides existentiels et de justifier les opportunités flambées par le joug des années.

Je ne veux même pas penser que Zakuro pourrait s’insérer dans une définition aussi bancale de l’être, et je préfère damner son regard et l’imaginer croupir dans ce sale lit d’hôpital, je préfère confronter ma tête et ma rage d’un ciel percé plutôt que de l’apposer à ce terme, ce mot. Mon cœur murmure et ma tête geint et je refuse catégoriquement ce moule, cette catégorisation. C’est une parade de faux-semblants douteux, ceux qui incombent aux idiots de la trempe de Swan, ceux qui préoccupent les humiliés et les destitués. Une manière de se sentir moins seul, spécial. Mais je l’ai déjà dit, à Yume et ses grands yeux papillonnant d’émoi et d’inquiétude, je ne suis jamais seul et, et, j’étais spécial aux yeux du monde avant qu’on me découvre, avant qu’on me trouve. Avant que je n’érige le ciel de mes doigts en lui soufflant de réécrire son passé dans l’avenir.

« Je crois pas vraiment à ces trucs là. »

Son sourire s’élargit et le dédain mesuré qui vibre dans le nectar de ses pupilles se diffuse jusqu’à s’en dissoudre.

« Quel cynisme ! T’aurait-on brisé le cœur ? »

Un rire aboyé et tout un Spectrum de délires venant se loger quelque part dans ma boîte crânienne, juste au-dessus de mon sourcil droit. Encore une fois, les assomptions typiques des uns s’emboîtent dans mon esprit comme de visqueux ectoplasmes. Je suis le chasseur de fantômes qui cherche à les démolir, à les sectionner, à leur octroyer une nouvelle formation génétique. Il n’y a pas de cœur brisé par le lien passionnel qu’on prétendrait unir les gens uniquement l’espace de trois fichues années (tic tac tic tac), pas plus que cet enfant qui pleurait contre la baie vitré de son salon n’existe présentement.

Carter, est-ce qu’on m’a brisé le cœur ?

Je revois son regard morbide, exalté dans une expression d’horreur pointilleuse, l’année où elle m’avait surpris avec le chien des voisins entre les paumes. Le petit chiot, une créature quelconque, un caniche plutôt silencieux, câlin. Je me rappelle des mots qui brillaient dans son regard sans qu’elle n’ait jamais eu la force de les prononcer, de sa main râpeuse s’enroulant autour de mon poignet, alors que tout mon cœur oscillait entre la curiosité et l’agacement.

Je me rappelle m’être moqué lorsqu’elle m’a sommé de ne plus jamais recommencer. Je me rappelle de son silence, de l’atmosphère pesante, suffocante, et de mes phalanges crissant contre le linoleum du comptoir de la cuisine. Je me rappelle de mon sourire, pas pour l’avoir vu, mais pour l’avoir senti la brûler, Si tu dis que j’ai fais quelque chose de mal, ils vont te renvoyer, tu sais ? And you wouldn’t want to leave me all alone, would you ? You are the only one I have. You love me, don’t you ?

I love you, I love you, I love you.

À sa place, je ne serais pas resté immobile à contempler ce qu’elle considérait visiblement comme une abomination naissante, je serais parti, j’aurais filé ou je l’aurais suffisamment rabrouée pour qu’elle comprenne que ma pensée dominait, et dominerait toujours, la sienne. Avec son salaire, elle aurait pu partir, plaider maladie, demander compensation. Pourtant, elle est restée là, immobile, malgré ses pupilles qui hurlaient.

Tu es un monstre.

« On s’entend plutôt pour dire que je n’en ai aucun. Et toi, t’as un cœur, Mei ? »

Dans la neutralité morne de mes intonations persiste maintenant une certaine violence, une agressivité latente qui bouillonne à feux doux, plus par dédain que par patience. Mei sourit, agitant deux doigts au-dessus de ses lèvres, joueuse et théâtrale.

« Si. Mais il est verrouillé et bien caché. »

Pft. Le téléroman du samedi soir vous présente les litiges amoureux de Mei la succube en première. La série télévisée vous racontera comment une adolescente en est venue à clore sa passion au monde extérieur suite à la suite d’interactions peu fortuites avec le sexe opposé. Des heures de plaisir. Vous devinerez la fin en trois minutes, maximum.

Je n’ai toutefois pas la motivation de lui signifier à quel point cette réponse me semble provenir d’un détour médiatique destiné à accrocher une nuée d’adolescents dans son filet digital.  Je préfère reluquer les cailloux qui se froissent sous mes semelles, en espérant que mes méandres imaginaires se trouvent loin de la réalité, une flèche qui file à toutes vitesses à côté de sa cible. J’espère que ce cadenas métaphorique, des chairs brûlées et soudées pour arriver à former une fermeture, découlent d’un événement plus sensé que des bavasseries adolescentes ne peuvent l’être. Une différenciation, un souffle, un sens. Autre chose qu’un nauséabond cliché trop souvent employé.

Autre chose qu’un idiot qui fonce sans réfléchir dans la gueule édentée d’un camion métallique. Si on te tord, que reste-t-il de toi, que reste-t-il de ce que j’ai si ardemment cherché à érigé, de ce que j’ai admiré fleurir entre mes doigts. La douleur n’est qu’une illusion et je marcherais au travers d’un océan de lave pour vous le prouver à tous, mais . . . les lacérations sur tes bras ne mentent pas. Je ne te veux pas humain, je ne te veux pas comme ça.

Tu es con, tu es con et je ne te pardonnerai pas.

« Dommage. »

Elle me lance un regard ambigu et je réalise dès lors que nos échanges, si certains sont réalisés par la force de l’élocution, prennent majoritairement place dans le silence assourdissant des œillades. Les vitres de l’âme, communiquant tout ce que la langue ne souhaite pas réellement former. Des secrets, des méandres.

Sur ma langue, glissant dans mon œsophage.

« Tu te proposes, c’est ça ? »

Je me demande si elle voit toutes celles qui dansent un tango endiablé dans les tréfonds de mes pupilles, toutes ces mentalités que je me plais à considérer avoir ingurgité. Tous ces cœurs que je me prétends avoir dépecé. Je lui rends l’ambigüité de sa réponse, éraflant mes chaussures contre le sol pour créer de longues stries informes dans le gravier.

« Non, pas vraiment. Sauf si manger ton cœur me donne l’opportunité d’en acquérir un. »

Dubitative est l’expression qui s’en suit et je cligne des yeux.

Encore.

-

« Tu sais pourquoi je suis ici, dans ces fringues, dans cette rue ? »

Dans cette rue désertée par la faune nocturne et rampante qui habite Tokyo, comme si fuit par instinct de préservation, je ne sais pas ce qu’elle fiche. J’ignore ce qui l’a conduit à cet endroit précis, dans cet accoutrement débraillé par un vécu qui suinte de difficultés. Contrairement aux méthodes usuelles qui accompagnent mes élans, je n’ai pas eu l’intérêt de me poser la question, m’accrochant au jais de ses cheveux et à l’humanité dans ses yeux. M’accrochant à l’horreur et au son, à ce cœur tressaillant d’émoi que j’avais tenté de pousser jusqu’à l’arrêt en chantant.

Parce qu’il est con. Parce que je suis con. Parce que nous sommes faibles.

Et tous pareils.

Je ne sais pas pourquoi elle est là, dans ces fringues, dans cette rue, mais j’ai la certitude que nous n’y traînons pas pour la même raison. Je n’appose, toutefois, aucune réaction à son interrogation aux intonations rhétoriques, gardant mon regard rivé sur la nuit plutôt que sur sa forme.

Une part de moi chuchote « rien à foutre », l’autre écoute attentivement, Aucune ne s’oppose au déluge et donc, dans une tonalité porteuse de confidence, Mei glisse l’une de ses phalanges sur sa lèvre inférieure. Une adolescente qui s’est propulsée dans une histoire la submergeant entièrement, mais qui s’efforce tout de même à ramer à contre-sens du courant. Jusqu’à ce que ses bras flanchent, jusqu’à ce que son corps casse. Elle croasse, sa voix bouillonne de traîtres bulles.

« C’est parce que j’en avais marre de n’être que ce numéro qui apparaissait tout en haut de la feuille des résultats d’examen. Ce numéro qui ne pouvait plus bouger de son podium sans risquer la névrose, ce numéro qui en avait presqu’oublié son nom tellement il croulait sous la pression. »

Mes clavicules remontent en l’esquisse silencieuse d’une hilarité gourmande, la même qui m’afflige lorsque je m’amuse à comparer les différences culturelles qui me séparent des normes sociales japonaises. Mes yeux virevoltent contre l’étendue bafouée du ciel, la pollution lumineuse éteignant toutes les étoiles qui vibrent de par-delà la stratosphère.

Mei se noie. Le glougloutement de ses paroles clapote contre mes tympans.

« Je n’aime pas la société. Elle déshumanise ceux qui la forment. Les gens cessent d’être humains, cessent de vivre. Ils s’enfoncent dans une illusion de confort, ils arrêtent de réellement réfléchir, ils deviennent des ombres qui s’agglutinent aux parois d’un modèle donné. Ils survivent, ils stagnent. »

Un calcul simple, une conclusion normale. Le même sentiment qui affaisse les traits de la majorité des utilisateurs des transports en commun, le matin, alors que ceux-ci se rendent soit à l’école ou au travail, enlisés dans une routine qui est davantage une obligation qu’un confort. Tu as peut-être été un numéro, Mei, Mei l’oiseau dodelinant, mais, au moins, à l’instar de bien des gens, tu auras été quelque chose de pertinent ne serait-ce qu’une infime seconde.

Une parcelle d’intelligence, celle qu’on tente de colmater avec des règles sociales, celles qu’on tente d’étouffer en la rabrouant de mot plus odieux que ‘marginal’.

Je ne réponds rien. Je ne regarde rien. Mais le regard translucide d’une vieille nourrice me transperce comme une lame. Survivre. Vivre.

Je vaux tellement mieux que tout cela. Je dévore ceux qui vivent, me pourlèche de leurs existences.

« On tourne là. »

Pourtant, j’ai la sensation de me noyer un peu aussi.

-

Nous sommes entrés dans un immeuble, large, le genre de colosse de béton qui tortille notre imaginaire au travers des lentilles cinématographiques qui projettent de mauvais films de série B au grand écran. Les fenêtres sont toutes précautionneusement condamnées et l’attelage de clous qui encadre l’embrasure de la porte que nous dépassons me confirme qu’elle l’était aussi. Bloquée, pour ne pas que de jeunes têtes brûlées, de sales squatteurs irrespectueux des vents sociaux ne viennent perturber son intérieur. C’est peine perdue, pourtant, les rats croulent partout, trop brillants pour se laisser berner par la force, trop parasitiques pour abandonner un objectif en cours de route.

Comme les humains, en un sens.

Mei, corbeau humain, prostituée des normes, serpente au travers d’un harem de couloirs dont je fais à peine sens, ondulant dans l’obscurité, ses doigts finement attelés à la chair quasi-transparente de mon poignet. Des lattes de bois craquent douloureusement sous le poids de nos enjambées respectives et le labyrinthe de notre dédalle marché me semble durer une éternité. Une éternité temporelle qui sévit sur l’entièreté du monde. ( Et sur toi aussi, ne puis-je m’empêcher de me murmurer du bout des lèvres. )

Puis, de manière prévisible, bien que démesurément appréciée vu l’impatience qui me ronge, voir quelque chose, sentir quelque chose, ne surtout pas y penser, nous débouchons sur ce qui me semble être les vestiges d’un salon ou d’une salle de séjour. Un vieux canapé à demi défoncé trône dans le centre de la pièce où crépite omineusement un feu contenu dans l’un de ces gros barils métalliques servant parfois à contenir des déchets chimiques. Autour de la braise de camp, étonnement moins fumante qu’on pourrait le croire, sont avachies deux silhouettes informes, enveloppés comme des crêpes dans ce qu’elles doivent assurément considérer comme du luxe niveau couverture. La première est relativement immobile, on devine, grâce à la luminosité tremblotante qui émane du tonneau de fer, qu’elle est mût d’une respiration lente et rythmique, profonde, dénotant le sommeil. La seconde, elle, me parait – et je pourrais rire, je le pourrais – secouée de spasmes furibonds qui laissent sa forme rebondir de quelques centimètres toutes les secondes. Un vieux jouet mal rembobiné, un vieux film à la bande pliée, un vieux disque un peu trop rayé. Une masse humaine en manque de came, susurre le stéréotype. Un cocktail de coke ou de meth, mon cher monsieur ?

Je n’en prendrai pas, parce que, tu sais quoi, j’ai tellement mieux.

Soit. Ma partenaire momentanée ne semble pas se formaliser de leurs conditions et lance d’une voix tintée de soulagement, claire et presque maternelle, comme si elle retrouvait un havre sécuritaire, ce qui est probablement le cas, :

« Messieurs, voici Chester. Il chante comme un ange. »

Elle me désigne d’un grand moulinet et si la première silhouette ne bouge pas d’un poil, confirmant mes soupçons quant à son sommeil, la seconde se redresse d’un geste machinal et laisse découvrir le profil dégarni d’un homme. Probablement est-il beaucoup plus jeune que ce que n’importe quelle supposition pourrait laisser présager, ravagée par le genre de vie qui l’a fait atterrir dans un sale trou désaffecté.  Il renifle dédaigneusement, glissant un regard vaseux sur ma silhouette avant de laisser sa tête dodeliner dans la direction de la  squatteuse.

« Et toi t’es un ange, Mei. T’as ramené quoi ? »

Un rire jaune et respiré, un roulement de yeux que je discerne à peine dans la pénombre tamisée de l’édifice condamné. Mei s’écrase dans le vestige de mobilier, soulevant une volute de poussière âcre en cours de route, une poussière qui offre sûrement le même réconfort que ce tapis obsolète que certaines familles aiment placer à l’entrée de leur demeure. Ces tapis surmontés de phrases clichés, ceux qui disent ‘Welcome Home’. Elle me fait signe de prendre place et je trottine, scotchant mon regard au visage ravagé de l’addict, imaginant les traits remplis plutôt qu’émaciés, voletant au cœur d’un univers alterné.

Ma hanche frôle le baril brûlant de braise, mais je remarque à peine la sensation de chaleur qui vient brusquer mon épiderme, la douleur s’enregistrant dans une section de mon cerveau sans que je ne daigne toutefois la traiter. Une information mise en attente.

« Rien que tu pourras t’enfoncer dans l’avant-bras, Ritsu-kun. »

Spasme, le dénommé Ritsu, s’agite face à la réponse, retroussant les lèvres et laissant s’échapper un son qui vrombit, inhumain, obtus. Un grognement de frustration rauque et assuré qui me surprend et m’arrache un mouvement de recule. Le chat qui bondit sur ses pattes à la hâte de pouvoir riposter à une attaque surprise. Le chat qui oublie de sourire.

Mon bassin heurte le tonneau métallique de plein fouet et l’envoi valser en perpendiculaire au sol. Le fer vomi sa braise comme s’il s’agissait d’une bile aqueuse et les charbons orangé explosent devant mes yeux. Les flammes dansent, la braise clignote et Mei étouffe le tout d’un revers de couverture adroit, pratiqué. Elle piétine vivement le tissu avant de relever ses prunelles sur moi, souriante, toujours affublée de cet étrange air maternel qui dissone avec l’arpenteuse rencontrée à l’extérieur.

Je la contemple, interdit, et elle se contente de sourire, trop douce, considérée à s’en fendre les lèvres et à s’en crever les yeux. Elle redresse le baril, prudente et susurre :

« Oh, ne t’en fais pas, Chester, l’erreur est humaine. J'ai l'habitude. »

« . . . humaine ? »

Mon sang se fige, mon cœur s’éteint. Froid.

« Non. Non, elle ne l’est pas. »

Implosion. Mon cerveau tout entier qui tremble, ma contenance qui s’égraine, s’effrite, et les morceaux de verre qui se répandent partout, tranchants, destructeurs. Ma botte laisse résonner le coup qui ramène le tonneau flamboyant au sol avec plus de hargne que nécessaire, brouillant les lignes de ce qui est et de ce qui n’est pas. Je ne suis pas, je ne suis pas, je ne fais pas, je ne fais pas, ravale, ravale, ravale, ravale, ravale, ravale –

Je n’entends pas le déferlement du fer claquant contre le sol, ni les questions affolées des deux résidents et demi qui s’élancent pour stopper le flot virulent des flammes. Mais la couverture mince, rien avoir avec le béhémoth précédemment utilisé par Mei pour éteindre les flammes, qui recouvre le catatonique – peut-être ne dormait-il pas, car il ne bouge toujours pas – flambe mieux que des cheveux, s’embrasant tel une feuille de papier blanc. L’orange et le doré lèchent le textile ruisselant de chaleur.

Mei hurle, l’autre se remet à grogner et le chaos, le chaos se perd et se loge, se déverse. Mes pieds frappent et promènent, ils répandent et elle hurle tellement fort. Puis, je la vois, plus vive, plus brillante, qui s’élance dans l’intention de me dépasser. Le canapé l’éclaire comme un altar, découpant son ombre contre le reste de la scène avec une minutie impressionnante.
Ma langue claque, mes pupilles se rétractent sous l’éclat lumineux.

Une seule issue, une seule porte de sortie.  

Celui qui est le plus près gagne la partie, ma jolie.

Et tout se passe trop vite pour que tu sois en mesure de me devancer. Pas une seule seconde pour intelliger, pas une miette de temps pour t’adonner à la réflexion, il n’y a que le poison de la fumée dans ta trachée et le baiser des flammes qui souffle des promesses contre ta peau. Est-ce que c’est ce que tu appelles vivre, you fucking Tweetie Bird ?

La porte claque sur ses phalanges, les gonds rouillés crissant avec véhémence et je la frappe sans réfléchir, hurlant, damnant, sommant que seuls les humains crèvent, que seuls les humains ont mal. Ses ongles s’enfoncent dans ma chair et elle me damne, m’injure, me supplie, balance tous les verbes disponibles à son vocabulaire en une succession de paroles hallucinantes. Et je ne vois qu’à moitié, n’intellige que la sensation de pouvoir, d’écart total de cet humanité suintante.

Car je ne suis pas humain. Non, non, je n’en veux pas, je m’y refuse.

Sa main lâche, elle geint, elle cri et je m’imagine sa chair se recroqueviller en un amas roussi.

Mei brûle.

Et moi, je vomis, je fuis.

Je nie.


JE SUIS HEL.

ET J’ÉTOUFFE DE MA PESTILENCE.



« Tout laisse porter à croire que l’incendie était accidentel, bien qu’une enquête soit présentement en cours. En effet, les victimes étaient toutes des personnes portées disparues de leurs foyers respectifs depuis plusieurs mois  . . . ».

PSHHHHT.

Une chute d’ébène vient flouer mon regard de stries toutes aussi grossières qu’informes et la tête de Yume Namida file devant mon visage pour tomber sur mes cuisses. Assoupie devant la télévision, ou plutôt assommée par mon choix de programme, la jeune femme affiche une quiétude bénigne dans laquelle je me vautre comme une fourmi dans un océan de sucre. Mes phalanges se perdent dans l’océan sombre de sa chevelure et pressent doucement contre sa boîte crânienne pour approfondir son sommeil.  La sentir paisible me rassure et sa respiration profonde me fait l’effet d’une berceuse. Mes iris, toutefois, demeurent scotchés à l’écran de télévision qui envoi des ombres dantesques se loger dans tous les coins de notre modiques salon. Je n’ai jamais eu peur du noir, jamais, mais les voix qui transpercent l’obscurité me font serrer ma chérie lunaire plus près de mon torse, car si je n’ai pas besoin d’un bouclier pour me protéger des méandres issus de ma matière grise, j’ai besoin – un mot amer contre ma langue – de sentir une présence, une chaleur plus douce, n’émanant point de l’hypnotisme tanguant du feu.

Je vois les images des décombres d’un vieil immeuble qui avait été abandonné suite à des plans de rénovations qui n’avaient pu être accepté par la faute de la faillite du propriétaire sans reconnaître les lieux. Un étranger parmi tant d’autres assistant à une scène ne l’impliquant pas. Avec un bémol sournois et des voix piaillant des inutilités contre le parquet sobre des rues de Tokyo.

Mon pouce trouve le bouton d’ignition et l’actionne en sens inverse. Le présentateur de nouvelle s’évapore dans le néant de l’électricité et je fuis le silence en comptant chacun des battements du cœur de Yume.

Je ne pense plus au miroir éclaté dans la salle de bain. Je ne pense plus au marques d’ongles encore irritées contre mon poignet. Et, par-dessus tout, je ne pense plus aux mots en M.

Le Chapelier doit se taire. ( Surtout lorsque l’on peut considérer qu’il ait déjà été psychologue. )

Je frémis. Le monde se grise.

J’expire. La bile remonte.

Qu'espérais-tu de la vie, Mei ?
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JE SUIS HEL.
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