Assis sur le perron de son appartement, Aaron méditait, cigarette en bouche. Le voilà, perdu dans son intérieur, ses yeux bleus filants droits, sans jamais s'arrêter sur un détail. Le voilà, ce pauvre homme, en train d'oublier le monde sur les belles marches de marbres d'une bâtisse richement entretenue. Le soleil pointait timidement, son effet semblait négligeable, le froid de la fin d'automne l'emportait sur sa chaleur. Ce matin semblait si calme qu'il pensa sur le coup se trouver en Corée. De silencieuses silhouettes passaient, le genre à n'avoir plus de liberté de mouvement, fixement décidées à se rendre au boulot. Quant à notre protagoniste, celui-ci savourait sa dernière semaine d'autonomie avant son arrivée au lycée.
Après quelques instants, il se repassa les points importants des environs, cherchant quelque lieu à visiter. Sa mémoire ô combien sélective ne réussissait qu'à lui en renvoyer un seul : le temple. Bien sûr, il grommelait déjà à l'idée de s'y rendre, bien qu'il n'y fut pas forcé, mais rester assis là sans rien faire l'ennuyait un peu plus. Je vous ai déjà parlé du rapport d'Aaron à la religion ? Il ne l'aimait guère, certains restent tolérants à son égard, mais ce n'était pas dans la nature du professeur de se taire sur des sujets énervants. Comment peut-on croire en cela ? Comment ?! Et puis construire des structures à l'effigie d'une entité supérieure, cela lui semblait dément.
Il prit appui sur le sol et se leva dans un bond plein d'entrain, bien qu'il n'en eut pas, pour se diriger vers le temple. Celui-ci ne se trouvait qu'à moins d'un kilomètre, solidement ancré en plein coeur de son quartier, comme pour faire dire au monde que les kamis sont les rois de notre quotidien.
L'homme s'infiltrait avec son costard froissé à l'intérieur, jetant ce qu'il restait de sa clope au passage. Il passa le portail bordeaux du sanctuaire et se dirigea vers l'allée. Les visiteurs n'étaient pas nombreux, sûrement que le jour choisi, non propice pour jouer les touristes, y était pour beaucoup. L'architecture traditionnel du pays s'offrait à ses pupilles tel que les grands toits typiquement incurvés des bâtiments carmins, ors et sombres. Voilà que son côté rebelle disparaissait pour mieux déifier la solennité des structures, tantôt hautes et fiers, tantôt basses et modestes. Il s'adossa contre la poutre sacrée d'un appentis pour mieux profiter des merveilles alentours. Son air impartial et désintéressé se changeait peu à peu en un sourire de plénitude, le professeur était conquis et il commençait à croire que le déplacement n'était pas si vain.
Devant ses yeux souriants passait une étrange chose. Un moine shintô lui semblait-il, munis d'un habit noir, sa tête à peine visible, caché par un énorme chapeau de paille. Porté par sa neutralité à toute épreuve, le professeur esquissait silencieusement un rire en haussant légèrement ses sourcils, pivotant sa tête de droite à gauche. Il ne put cependant s'empêcher de lancer :
- On les oblige vraiment à porter ce truc immonde ?
Aaron, soucieux de l'image qu'on se faisait de lui, jeta un rapide coup d'oeil aux alentours, regardant si quelqu'un avait pu capter sa remarque désobligeante. Si personne ne lui paraissait avoir entendu, ses prunelles s'arrêtèrent tout de même à la vue d'une femme. Celle-ci, sous la même structure que lui, portait une chevelure blonde, se présentant terne sous l'ombre du lambris. Si la vue d'une fille, aussi belle soit-elle, ne le faisait pas frétiller plus que cela, le fait que celle-ci soit seule et que ses traits soient les mêmes qu'une personne de trente années, qu'il s'imputait aussi, attira son attention.
Silencieuse sous ses lèvres aveuglées, cette dernière ne semblait cependant pas vouloir d'une conversation quelconque. Aaron, tiraillé entre sa pudeur et son envie de coudoyer des personnes du pays, leva ses yeux au ciel comme pour appeler les kamis à trancher.
- Vous êtes religieuse ? Se prit-il à questionner.
À vrai dire, parler religion ne lui semblait pas plus stupide que cela, vu où ils se tenaient, mais comme première question, de mémoire, il lui apparaissait avoir trouvé mieux. L'homme vadrouilla prudemment son regard neutre sur la femme, prêt à attendre patiemment une réponse de l'effacée.
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