J'ai un don pour m'attirer des problèmes, vraiment ...

Essoufflée. Je suis vraiment essoufflée, j'arrive presque plus à tenir le rythme, mon coeur bat à cent à l'heure ça fait plus d'une demi-heure que je cours après ce fichu gamin, si je l'attrape je l'étripe ! Et j'aurai une très bonne raison : il vient tout juste de me voler mon sac et j'en ai besoin de mon sac ! Il est pas sérieux ce gars, il ose me voler quelque chose ?! À moi ! Ça se voit vraiment qu'il sait pas qui je suis.... Et bien quand je le rattraperai il saura et il passera un très mauvais quart d'heure, il s'en souviendra toute sa vie !

« PUTAIN ARRÊTE-TOI ! »

Raaaaah ! Ça m'énerve, il court super vite ce gars, c'est l'avantage d'être jeune ! Enfin je suis pas veille mais, pas du tout, mais j'ai au moins 6 ans de plus que lui. J'ai bien envie de m'arrêter de courir mais, je peux pas y a toute ma vie dans ce foutu sac : ma carte bleu, ma carte d'identité et tout le tralala ! Je suis vraiment en rogne, j'en ai marre de jouer à son petit qui a l'air de beaucoup lui faire rire.

Hé la veille tu m'attraperas pas nananéreeeu !»

Et en plus il me nargue ! Il se fout de moi mais, complètement ça peut plus durer il faut que je le chope ! Je continue de le poursuivre mais, il y a toujours dix mètres où plus me sépare de lui, je redouble d'efforts, il faut absolument que je le rattrape. Je crois que je vais m'arrêter le fait de courir encore plus vite m'épuise mais, je peux pas merde ! Le gars remarque que je suis presque en train de le rattraper alors il tourne à droite, oh non je vais le perdre de vu, ça me saoule. Je tourne avec lui et...et ... Cul-de sac ! Super ! Il peut plus s'échapper, dieu est avec moi aujourd'hui ! Je le fixe avec un regard noir, j'ai qu'une envie : le buter et je me fout complètement qu'il soit plus petit que moi, il fallait pas qu'il me cherche !

« Hé c'était une blague ! Hahaha ! Faut pas t'énerver hein je voul -»

Il a même pas terminé de parler que je lui aie déjà donné un joli coup de tête en plein sur son front et ça a fait du bruit. J'ai entendu un joli « bing » avant qu'il tombe par terre, j'ai frappé tellement fort que je me suis fait mal. Il s'est carrément tordu de douleur, il a gigoté dans tous les sens et il a pas arrêté de hurler : c'était bien fait, il l'avait bien mérité. Il y avait un peu de sang sur mon front bon, c'est pas grave je suis habitué à me blesser ! Je me penche vers lui pour attraper mon sac et vérifier s'il manque pas quelque chose et heureusement pour lui, toutes mes affaires sont là.

« T'as de la chance, s'il y avait manqué quelque chose je t'aurai terminé ! »

Je respire une grande bouffée d'air avant de lui dire :

« C'est la dernière fois que tu me piques un truc ok ?! Souviens-toi je suis Miyuki Aoki et tu devrais pas te frotter à moi, je suis racaille et j'aime pas du tout qu'on me cherche ! »

Et je rajoute:

« À moins que t'es du genre maso et que t'aime te prendre des coups ? »

Il ne m'a même pas répondu, je suppose qu'il a trop mal pour ouvrir sa grande bouche ? Eh ben il n'a qu'à s'en prendre qu'a lui-même, fallait pas qu'il me cherche ! Bref je vais pas m'attarder dessus, c'est que j'ai pas que ça à faire !

Je laisse ce pauvre petit au sol puis je m'arrache c'est que j'ai un peu faim là, cette course-poursuite m'a carrément ouvert l'appétit. Je sors rapidement du cul-de sac et je refais mon chemin dans le sens inverse. Quand je pense qu'au début j'étais venue prendre des nouvelles de Jeff. Ouais Jeff, Jefferson c'est un type assez louche avec qui j'ai assez traîné quand j'avais 15/16 ans. On peut pas dire qu'il soit digne de confiance mais, il est quand même assez cool et je suppose qu'au fond il est gentil même si c'est assez dur d'imaginer ça venant de lui ! On m'a dit qu'il était parti à l'hôpital il y a pas très longtemps parce qu'il avait fait une crise ou un truc de genre alors j'ai voulu lui rendre visite et c'est là que ce gamin me pique mon sac !

Enfin je suis sorti, je me dirige vers la petite supérette à l'angle de la rue, elle est pas très grande et le gérant est un vieil homme qui a l'air un peu louche. Je me balade entre les deux minuscules rayons qu'il y a dans le magasin avant de m'arrêter devant l'étagère des paquets de chips. Ça me donne presque envie de baver, je vais prendre ça tiens ! Mais ... mais ... je vais pas payé pour des paquets de chips quand même ! Ça coûte que 99 yens je vais pas sortir ma carte pour ça ! Mais j'ai la dalle aussi, j'veux bouffer ..... Bon je vais pas me casser la tête, je mets le paquet sous mon gilet, on peut seulement croire que j'ai du ventre et je sors de la boutique. J'ai cru que tout allait bien se passer mais, c'est ce que je croyais ...

« Hé petite reviens payer ton paquet ! »

Oh merde ! Faut que je me casse avant qu'il appelle les flics et j'ai pas envie de d'aller au poste pour un simple paquet de chips. Je me mets à courir pour lui échapper et j'ai l'impression d'être à la place du petit que j'avais coursé tout à l'heure. Il me lâche pas le vieux ! Il a de bonnes jambes pour son âge ! Ça fait au moins cinq minutes qu'il me court après, je me précipite dans un bar pour me cacher, dans cet endroit il y a presque personne à part une jeune femme assise à côté du comptoir et le gérant du bar. Le gérant me regarde d'un air ahuri mais, je m'en fous ! Je me cache à côté de la jeune femme et accroupie je lui dis :

« Hé s'il te plaît je peux te demander un service vite fait ? T'aurais pas à me payer, je voudrais juste que tu dises au monsieur qui va rentrer que personne n'est ici à part toi et le gérant ... »

Je me tourne vers le gérant et je lui dis:

« Vous aussi hein !»
« Ok ...Si tu veux ....»

Narguant sans sourire l’enseigne qui interdisait de fumer dans un lieu public, la brunette sortit une cigarette de son blouson, et craqua une allumette d’un geste habile. Approchant le bout de bois en flamme de sa cigarette, la jeune fille laissa son mouvement en suspens un instant, observant la flamme qui serpentait juste sous ses yeux. Retenant jusqu’au moindre souffle pour ne pas briser la danse flamboyante, elle se concentrait uniquement sur la petite lueur, écoutant le bruit imperceptible du feu dévorant le bois et l’odeur de soufre qui s’élevait. Lorsque l’allumette fut sur le point de se consumer dans sa main, elle alluma sa cigarette et rejeta le bout de cendre dans un cendrier, comme si elle était habituée à faire mille fois ce geste. Soupirant avec lassitude, elle respira sa première bouffée salvatrice de la journée. Son travail était enfin terminé, elle avait marché à travers la ville et la foule dans un seul but : Se retrouver ici. Le seul endroit où en posant les yeux dessus, elle pouvait se sentir chez elle.
Pourtant, tout y était vieux et poussiéreux. Les portants de bois étaient pleins de lézards, les tables méritaient un coup de vernis pour la plupart, les bancs étaient creusés et le plafond avait perdu son blanc d’antan. Mais personne ne venait jamais racler sa gorge en vous voyant fumer, personne ne vous fixait par-dessus l’épaule, et personne ne venait vous parler. C’était l’unique endroit où Givre pouvait être en paix. L’unique endroit.

Levant les yeux vers le Patron, elle lui fit un petit signe amical de la tête lorsqu’il releva la tête de ses verres pour lui sourire. C’était à peu près le seul homme avec qui elle acceptait de partager un univers. Il l’avait accepté dans le sien, dans un bar où les femmes n’avaient jamais été réellement conviées. Et il ne lui avait jamais demandé de payer, même si la nippone tenait à le faire à chaque fois – du moins lorsqu’elle en avait les moyens – il n’avait jamais posé une seule question, et n’attendais pas de réponse muette. Elle était ni plus ni moins qu’une habituée, qu’on côtoyait sans regarder, et à qui on épargnait les sourires lorsque le soir maussade se couchait et les cafés se transformaient en vin ou whisky.
Sans aucune concertation, le patron lui apporta un autre verre, débarrassant son dernier. Une boisson sans alcool, dont seul lui avait le secret. C’était également une des seules choses que la jeune fille acceptait de boire, surement fascinée par ce mélange qu’elle ne pouvait élucider. Il l’avait élaborée pour elle, en voyant la répugnance et le rejet total qu’elle pouvait avoir pour l’alcool. Fou de cocktails et de boissons complexes, il n’avait pas baissé les bras, et composé cette chose sans aucun nom.

Alors qu’elle jetait son mégot de cigarette pour en sortir une autre, elle craqua une allumette, et s’apprêtait à rentrer dans sa contemplation pour quelques fragments de secondes. C’était sans compter la porte d’entrée, situer à l’entrée du bar, qui s’ouvrit avec fracas. Bien qu’étant tout au fond, dans l’ombre et la fumée, la flamme fut soufflée et Givre se retrouva avec un pauvre bout de boit soufré. Cela ne lui plut pas. Foudroyant d’un regard invisible et lointain l’inconnu, qu’elle ne pouvait même pas apercevoir, elle jeta l’allumette dans le cendrier, d’un geste moins calme que la première fois. Reportant son regard sur l’inconnu, qui avait parcouru la moitié du bar en quelques centièmes de secondes, Givre se rendit compte que c’était une fille, essoufflée qui plus est. Allons bon. Un méchant lui courrait après ? En ce cas, elle pouvait bien se taire, et elle ne comptait d’ailleurs pas parler. Voyant que le patron acceptait le marché d’un signe de tête, la brunette ressorti une allumette et la craqua. La porte s’ouvrit à nouveau, soufflant ses espoirs et sa contemplation. Cette fois, elle était réellement énervée. Le regard qu’elle tourna fut meurtrier. Un homme plutôt grand, encore plus essoufflé que la jeune fille maintenant cachée. Son regard était pratiquement aussi meurtrier que celui de Givre, du moins jusqu’à ce qu’il s’y heurte. Les yeux sombres de la jeune femme le déstabilisèrent un instant, et il opta pour une technique bien simple, que la plupart des gens sages prenaient : l’ignorance.

Pour ce faire, il se tourna vers le patron, qui lavait toujours ses verres face à la jeune fille. Soupirant, ce dernier traversa son bar et se posta devant l’individu, lui adressant un sourire convivial, comme s’il ignorait tout de la situation. Il était plutôt bon acteur.

« Bonjour Monsieur ! Je vous sers quelque chose ? »
« Euh… non ! Vous n’auriez pas plutôt vu une jeune fille ? »
« Bah si, y’a Givre, comme d’habitude un mardi soir. »
« Non non, mais pas elle au fond. Une autre, elle est entrée ici. »
« Personne n’est entré ici depuis une heure. Vous voulez boire quelque chose ? Sinon je vais devoir vous demander de sortir. »

Il avait des soupçons. Mais les muscles du barman étaient souvent dissuasifs. Jetant un dernier coup d’œil au bar, il secoua la tête et repartit sans demander son reste. Revenant face à Givre, le patron fit signe à la jeune fille cachée de ne pas bouger. En effet, deux minutes plus tard, le poursuivant revint, ouvrant la porte du bar en grand bruit. Observant pendant quelques instants l’atmosphère inchangée, il ferma définitivement la porte. Tapant du pied contre le bar, Givre finit par ressortir une allumette, lorsqu’elle fut sure que plus personne n’entrerait ou ne sortirait aussi vite, elle craqua sa chère allumette tant attendue, observant avec le même plaisir intact la danse de la flamme. Puis allumant sa gitane, elle posa le bout de bois calciné. Elle avait déjà totalement oublié la présence de l’inconnue.

Elle ne répond pas, elle n'a pas l'air d'être du genre cafteuse et tant mieux pour moi ! Je reste un moment caché à côté d'elle avant que le vieillard entre dans le bar tout essoufflé. Il avance en boitant, un peu comme un pirate et il a l'air très en colère et je le comprends. Ça doit pas être cool de se faire voler quelque chose, je le savais très bien grâce au petit qui m'avait volé mon sac ! Alors, pourquoi je le fait ? Parce que j'avais pas envie de payer tout simplement, c'est bête je sais mais, je m'en fous. Il lance des regards meurtriers, il balaye la salle du regard dans l'espoir de me trouver. Pendant un moment il regarde la jeune femme avec un mauvais regard, je crois qu'il a deviné que je suis derrière elle, mais finalement il détourna son regard.
Le barman arrête de nettoyer ses verres puis il traverse le bar pour finalement se mettre devant le vieillard. Il est plutôt grand pour un japonais et il a une carrure imposante ça qui avait l'air d'effrayé le vieillard. Il lui montre un sourire plutôt convivial avant de lui dire :

« Bonjour Monsieur ! Je vous sers quelque chose ? »
(....)
Personne n'est entré ici depuis une heure. Vous voulez boire quelque chose ? Sinon je vais devoir vous demander de sortir. »

Le vieillard lui jette un regard méfiant, il balaye la pièce du regard une seconde fois, jetant par la même occasion des coups d'oeils soupçonneux envers la jeune femme. Puis finalement il secoue la tête et enfin il sort du bar, je m'apprête à bouger et à sortir de ma cachette quand le barman me conseille de ne pas bouger. J'ai bien fait de l'écouter car, deux minutes après, le vieil homme revient en courant vérifier si je ne me cache pas dans le bar. Il balaye du regard la pièce une troisième fois pour finalement se rendre compte que rien n'avait changé.

« Vous devriez sortir monsieur » conseille calmement le barman.

Il soupire puis il sort en hurlant des insultes et enfin je peux sortir de ma cachette, c'est pas trop tôt ! Je remercie, les deux personnes qui m'ont aidé, bah oui j'ai beau être considéré comme une racaille, je suis quand même un minimum polie ! Surtout si on m'aide. Je marche vers la sortie mais, le barman m'interrompt.

« Alors, mademoiselle, tu vas pas partir si rapidement, assied-toi je t'offre un verre »

Il est plutôt généreux cet homme, d'abord il m'aide et ensuite il m'offre un verre, c'est pas tous les jours qu'on rencontre des gens comme ça ! Je vais quand même pas refuser, c'est pas mon genre et puis ... J'AI SOIF ! Je prends place à côté de la jeune femme mais, trop prêt je suis pas du genre collante.

« Un sirop grenadine s'il vous plaît ! »

Aujourd'hui pas d'alcool, j'ai pas envie de ressortir bourrée et surtout d'avoir une gueule de bois demain, je déteste ça ! J'ai pas que ça à faire d'avoir mal à la tête toute la journée, j'ai des projets pour demain. Bref, j'observe, l'endroit est plongé dans une semi-obscurité, j'ai l'impression d'être dans une sorte de grotte. Il respire plus la jeunesse, tout est abimé, vieilli, le bois des étagères sont toutes écorchées et rongées. Les tables ont perdues leurs éclats, elles sont passées du blanc au ... gris enfin je suppose que c'est du gris car, c'est une couleur vraiment bizarre et pas très net. Mais, bon malgré ça, l'endroit dégage une ambiance agréable et convivial, on se sent comme chez soi.
J'ai cru que le barman allait me questionner, c'est logique non ? Il laisse une femme entré dans son bar, l'aide, lui propose un verre et tout ça sans rien demander. Bon je vais pas me plaindre ! Ça m'arrange bien en fait j'ai pas trop envie d'expliquer ce qui c'était passé, c'est juste chiant !
Je sors mon petit paquet de chips et je le pose sur le comptoir, voilà mon repas du soir : sirop de grenadine et chips, super ! Bon c'est pas grave ça m'aiderait à tenir jusqu'au VRAI diner et puis je vais pas me plaindre. Je jette un coup d'oeil vers le bas : une carte, une carte d'identité. Je l'analyse : MURAKAMI, Givre MURAKAMI, 21 ans etc .... Ça a l'air d'appartenir à la femme à côté de moi en tout cas c'est son portrait caché, je me tourne doucement vers elle avant de lui demander :

« C'est à toi je suppose ? »

C'est surement à elle mais, mieux vaut demander et puis j'ai envie de la faire la conversation, faut bien commencer par un côté ?

Elle pouvait enfin respirer. Bien que l’air soit poussière et fumée, elle pouvait enfin respirer. Il ne restait que cette inconnue, qui semblait bien destinée à camper dans le bar. Qu’importe, le patron semblait ravit d’avoir de la clientèle. A part quelques habitués, il était vrai que le bar ne marchait pas fort, et s’il vendait, la brunette se retrouverait sans lieu de replis. Renonçant donc à fusiller la nouvelle arrivante du regard, elle l’accepta dans cet univers, pour le bien de son ami derrière le comptoir. L’ambiance ne semblait pas la déranger. Une salle vide, des tables au bois verni passé depuis longtemps… Givre avait souvent vu des gens entrer, jeter un coup d’œil et partir d’un air dégouté. Peut-être se sentaient-ils mieux dans un univers de Javel, de soleil éblouissant et de naphtaline. Au moins, ils ne venaient pas souiller le lieu de leurs chaussures italiennes impeccablement cirées, et de leurs cheveux pleins de gel et de leurs petites lunettes rondes.

La porte s’ouvrit à nouveau, mais avec douceur cette fois-ci. Sans se presser, un homme empêtré dans un vieux t-shirt et des baskets sales entra et s’installa à l’autre bout du bar, tout près de la porte. Givre lui fit un signe de tête. Goshi, un des habitués. Il était déjà 20 heures ? Il ne venait qu’à cette heure, après la retransmission de son match de base-ball. Il buvait un café, deux bières et un verre de vin rouge, le tout en deux heures, et repartait pour regarder le catch mexicain. C’était une ronde bien agencée, qu’elle avait appris à connaitre par cœur au fil du temps. Les gens à qui il valait mieux ne pas parler, ceux qu’il était utile d’éviter à certaines heures, lorsqu’ils avaient trop bu. Elle connaissait la danse de ce bar mieux qu’aucune autre. Plusieurs années déjà qu’elle y trainait pratiquement tous les soirs.
Lorsqu’elle était arrivée ici, les cheveux sales, les yeux trop maquillés et ses bottes dix fois trop grandes pour elle, la brunette s’était fait dévisager pendant bien 5 minutes, sur le pas de la porte. Mais elle était entrée, sans se démonter, et n’en était plus partie. Elle n’avait été acceptée qu’à l’instant où la chanteuse qui venait les dimanche soir était devenue aphone. Sans distraction pour le soir, le patron avait commencé à s’énerver. Sans un mot, elle avait pris le micro, et chanté. Deux mois qu’elle trainait ici, et tout le monde avait oublié son existence. Mais ce fut la dernière fois qu’on l’appela « La brunette aux cheveux sales », surement parce qu’elle avait les cheveux propres, maintenant.

La jeune fille était toujours là, sirotant son sirop. Bon point, elle n’avait pas choisi d’alcool. Givre entretenait un profond mépris pour les jeunes qui buvaient de l’alcool dans les bars le soir. En fait, elle entretenait une répulsion envers l’alcool tout simplement. La petite indésirable devenait au moins respectable sur un point. Se replongeant dans ses pensées, elle tacha de ne plus lui prêter attention. Acceptée, mais pas désirée.
Sortie de ses pensées soudainement par une voix, elle dévisagea l’inconnue, tachant de comprendre ce qu’elle lui disait. Une carte d’identité. Un rapide coup d’œil suffit à lui montrer que c’était la sienne. Zut. Touchant par reflexe ses poches, la jeune femme dut bien admettre qu’elle avait dû tomber. La prenant des mains de l’inconnue, elle la regarda comme pour vérifier, et articula un « merci » à peine inaudible, avant de se retourner.

Personne ne savait son nom de famille ici. C’était comme ça. Givre ne savait même pas le prénom de la plupart des habitués, mise à part Goshi et quelques autres, le reste était nommé d’après des surnoms. C’était une sorte de règle. On ne cherchait pas le passé et le présent de ceux qu’on côtoyait, c’est à peine si on s’adressait la parole.
Avisant le paquet de chips, Givre sembla comprendre pourquoi elle était poursuivie. Pour avoir volé un paquet de chips ? Le poursuivant avait tout l’air d’un commerçant, et c’était dans la logique des choses. Mais elle n’était pas le genre de personne qui partirait dans des grands discours sur le vol, ses méfaits et le mal que l’homme peut ressentir à commettre ces actes. En fait, elle n’était tout simplement pas le genre à partir dans des grands discours, tout court.

Faisant tourner sa carte d’identité du bout de ses doigts avant de la ranger et d’éteindre sa cigarette, elle regardait la nouvelle venue du coin de l’œil, sans dire un seul mot, comme à son habitude.

Le bar est silencieux, c'est assez agréable je peux siroter mon sirop tranquillement sans entendre des ivrognes se plaindre de leurs vies. Je déteste ça, les gens comme ça m'énerve complètement, ils me donnent des envies de meurtres. La semaine dernière j'ai failli emmener un de ces gars à l'hôpital, il hurlait tellement dans le bar qu'il fallait que quelqu'un l'arrête. Le barman ne disait absolument rien, je pense qu'il avait seulement la trouille, quel lâche même pas capable de faire régner l'ordre dans son propre bar. Heureusement que j'étais là ! Je l'ai vite fait sortir du bar.
Un homme entre dans le bar, il a l'air d'être un habitué et de ne pas être « un pressé de la vie », je le regarde s'installer de l'autre bout du bar puis je retourne ma tête vers ma boisson. En réalité, je suis vachement crevée, c'est assez inhabituelle chez moi car, je suis toujours en forme. Je suis une vraie boule d'énergie et je bouge tout le temps c'est pour ça que les gens ont du mal à me suivre mais, bon certaines fois je fais des efforts et je ralenti mon rythme d'activité. Mais là, j'ai simplement envie de dormir et malheureusement j'ai pas encore fini ma journée j'ai pleins de choses à faire.
Je jette un coup d'oeil et j'aperçois : une carte, une carte d'identité précisément, je me baisse et je l'attrape du bout des doigts. Je considère cette carte un moment et je l'analyse un peu : Givre, Givre MURAKAMI, 21 ans etc.... ça appartient surement à cette femme à côté, en tout cas c'est son portrait craché.

« C'est à toi je suppose ? »

Elle me dévisage un moment, j'aime pas trop ça mais, bon je suis fatiguée, j'ai pas envie de m'énerver et pour s'énerver faut de l'énergie ! Elle a l'air de pas trop comprendre ce que je dis, elle est peut-être étrangère ? Bah non, c'est pas possible, c'était marqué : Japonaise sur sa carte à moins qu'elle soit bête elle m'a surement compris ! Elle jette un coup d'oeil à la carte puis elle touche ses poches surement par réflexes et elle prend la carte. Je pense qu'elle m'a dit merci mais, bon j'ai à peine entendu ce qu'elle m'a dit, elle doit surement être du genre timide ou bien elle n'aime pas parler. De toute façon je m'en fous complètement.

« Je t'ai pas très bien entendu mais, de rien »

J'ouvre mon paquet de chips assez silencieusement puis j'avale cette fine rondelle de pomme de terre frite. Je me suis dit qu'on aler discuter mais, maintenant j'ai plus vraiment envie, j'ai qu'un envie : dormir. C'est surement parce qu'il est tard et que j'ai fait pas malde trucs aujourd'hui, il y a pas beaucoup de gens qui passent leur mâtiné à s'entrainer et qui enchaînent les activités ensuite.
Ça fait un moment que je suis ici maintenant et je trouve cet endroit assez reposant, je devrais y venir plus souvent. L'ambiance est vraiment agréable et même si c'est pas l'endroit le plus chic au monde, on s'y sent bien. Je sens qu'elle me regarde et j'aime pas ça, elle me fixe discrètement, elle a un problème ? Elle veut peut-être que je parte ? De toute façon je partirai pas, j'en ai pas envie et elle me fera pas partir. Je la regarde à mon tour avant de hausser un sourcil et je suis lui demande d'un ton assez las :

« Y'a un problème ? J'ai quelque chose sur le visage? »

Un paquet de chips, allons bon. Alors la jeune fille avait prit la peine de se faire poursuivre par un gérant sur les nerfs pour un minuscule paquet de chips ? la brunette détestait le vol. Peut-être pas autant que l'alcool, mais tout de même. Elle-même vivait assez pauvrement depuis que sa mère l'avait foutue dehors, et bien qu'elle n'ait pas de loyer à payer, elle mangeait du riz pratiquement à chaque repas, le plus souvent blanc. Cela avait développé deux choses chez elle ; premièrement, elle acceptait chaque boulot qu'on lui tendait, et deuxièmement, elle ne volait pas, partant du principe qu'elle ferait perdre le l'argent à quelqu'un qui en avait peut-être autant besoin qu'elle. Elle gagnait trop durement son argent pour perdre sa dignité pour quelques sous. Mais elle ne jugeait pas, c'était dans ses principes. Si la jeune fille n'avait eu d'autre recours, alors tant pis. Ce n'était qu'un paquet de chips après tout, non ? Si elle était foncièrement mauvaise, la nouvelle venue n'aurait pas ramassé sa carte d'identité, après tout, elle aurait pu s'en servir pour faire des détournements.

Et elle avait été acceptée par le gérant. Lui et sa facheuse manie de récupérer les oisillons échoués là, sur le bas-coté. Dès qu'il fallait protéger quelqu'un, il aimait ça. L'incident pouvait après tout se passer de commentaire. Et ce qu'elle allait faire pouvait lui attirer bien plus d'ennui que nécessaire. Pourtant elle se leva sans dire un mot, faisant signe au gérant qu'elle revenait sous peu. Rattraper le propriétaire de la superette fut assez aisé. Il ruminait sur la route, bougonnant d'un air d'ours. Sans un mot, elle tendit un billet de 1000 Yens. C'était bien sur beaucoup plus que le prix d'un simple paquet de chips. Environ 10 fois plus, en fait. Mais cela signifiait aussi qu'il pouvait aimablement laisser couler l'affaire. Pour cette somme, il accepta sans plus de rechignement, et repartit de là où il était venu. Il rentra un peu plus loin dans un petit magasin. Givre nota dans le coin de sa tête de ne pas aller faire ses courses là-bas pendant quelques temps. Simple mesure de sécurité, hé ?

Dans son mutisme habituel, elle revint dans le bar. Il était inutile de dire un mot, le gérant secouait la tête sans rien dire, ayant parfaitement compris ce qu'elle avait fait. Que l'inconnu ait capté ou non, ce n'était pas son problème. Elle se rassit à sa place et posa ses coudes sur le bar. En échange, le patron lui offrit une boisson gratuite. Et il était à peu près évident qu'il refuserait son billet à la fin de la soirée. Trop gentil pour un gérant de bar, vraiment. Il se laissait attendrir un peu trop facilement, mais au moins, ce n'était que pour les filles. Les mecs avaient beau faire ce qu'ils voulaient, ils payaient l'ardoise à la fin de la journée. Et vu que les filles ne courraient pas le bar, il pouvait se le permettre. Mais quand même, à quand remontait la dernière fois qu'elle avait du payer ? Certes, en échange, elle jouait sans contre-partie tous les dimanches soirs. Mais ça ne comptait pratiquement pas, puisqu'elle se fichait du public.

Avisant la jeune fille près d'elle, Givre sembla s'adoucir légèrement. Ce n'était pourtant qu'en apparence. Si elle ne tirait aucune honte à être retournée voir le propriétaire de la supérette - elle l'avait fait de son plein gré après tout - elle se demandait ce qui avait poussé la jeune fille à voler. Par pure curiosité intellectuelle. Elle n'avait pas l'air d'une clocharde, ou même de manquer réellement de quelque chose. Et puis quitte à voler quelque chose, autant voler de la nourriture consistante. Alors pourquoi un paquet de chips ? Un petit paquet, une sous-marque, qui ne devait pas valoir plus de 100 yens. Par pure envie ? Une kleptomane ? Non, dans ce cas elle aurait prit sa carte d'identité, encore une fois. Se grattant l'arcade, elle essaya de comprendre. C'était une étudiante, de toute évidence. Ils ne nourrissaient pas leurs élèves, à Keimoo ? Elle avait bien fait de ne pas y aller. C'était pourtant une université assez chère, à ce qu'elle savait. De quoi interroger d'autant plus.

« Pourquoi avoir besoin de voler ?»

Le patron lui lança un regard noir, elle hocha les épaules comme pour se défendre - Quoi ! Je me pose juste la question ! - Finalement il soupira, habitué aux remarques pas toujours gentilles de la brunette. Elle ouvrait peu la bouche, et jamais pour un compliment. De plus, il était évident qu'elle posait la question par simple maladresse, sans aucune méchanceté gratuite. Et puis après tout, oui, pourquoi avoir besoin de voler ? C'était une question qui pouvait se poser, ici, dans un lieu où toute discussion était la bienvenue pour un gérant de bar.