♥ ♣ Rose Hybride de Thé ♦ ♠

Spoiler:

Samedi. Jour particulier.
Les années précédentes, Cammy passait ses samedi après-midi à l'hôpital pour voir ses parents, et aider à la crêche. Depuis son retour,  elle avait chamboulé ses habitudes. Tout d'abord en laissant le club de théâtre pour celui de jardinage. Le samedi, c'était Ikebana. Plus que du jardinage, c'était un art dont elle se sentait proche, libérant son être et se revigorant au contact de la simplicité ornementale des compositions dont elle faisait l'apprentissage. Ce n'était pas aisé, mais malgré tout elle s'y sentait bien. Elle avait tenté elle même quelques "bouquets" lors de rendez-vous discrets en compagnie de la flore mais avait lamentablement échoué. Elle n'était tout simplement pas prête: les tracas de son quotidien lui faisait perdre toute concentration et méditation. C'est pourquoi, depuis près d'un mois, elle passait l'après-midi de ce jour entamant le début du week-end dans les serres, même si souvent sa quiétude était troublée par la présence de quelques couples en quête de romantisme, allant parfois jusqu'à la concupiscence de la chair. Dans ces rares cas, la demoiselle se mettait à faire mine d'entretenir  ça et là quelques plantations en remplissant d'eau une bassine métallique, à la source que représentait le fosset d'une cuve rarement empruntée. Le cliquetis ainsi émis avait pour effet de faire fuir ces explorateurs polissons. Ce ne fut pas le cas en ce jour car, comme tout les ans, la Golden Week offrait aux Japonais quatre jours fériés concentrés sur sept jours. Cammy n'allait pas avoir son cours d'Ikebana. Il n'y avait pas de cours et d'ailleurs, très peu d'élèves étaient restés à l'Académie.

L'étudiante venait de passer trois jours en compagnie de ses parents, et bien que cela lui eût fait beaucoup de bien, l'atmosphère familiale était encore trop étouffante. Cela faisait déjà quatre mois qu'elle était revenue, et un mois qu'elle avait fait sa rentrée. La première semaine avait été très éprouvante, des questions assaillaient la jeune femme de part et d'autre si bien qu'en dehors des cours elle se réfugiait à la bibliothèque ou dans sa chambre de la résidence universitaire. Curieusement, elle avait récupéré celle de l'année précédente, avec les mêmes "voisins". Elle avait rendue la veste de cuir à Yukina Monoh, une jeune fille, de première année à l'époque, qui mimait l'Australienne jusqu'au style vestimentaire, en passant par la couleur des yeux et des cheveux. A présent, la petite Monoh venait de passer en troisième année. Si les évènements du FLPCB n'avaient pas eu lieu, Cammy serait également en troisième année. Toutefois elle avait eu l'aubaine de ne pas avoir eu à repiquer sa première. En fin de compte, entre janvier et avril, elle avait travaillé d'arrache pied pour repasser à nouveau les examens de passage en année supérieure. Elle l'ignorait, mais elle avait presqu'obtenu la note maximale un an plus tôt, qui était évidemment devenue caduque puisque l'élève avait disparu.
Yukina avait totalement changé. Visiblement le fait de copier Logan lui avait offert un cadeau empoisonné: elle s'était attiré les railleries de bon nombres d'étudiants, tout groupe confondu. A présent, l'ex-fan ignorait complètement celle qu'elle avait admiré pendant près d'un an. Même les petites patisseries de l'ancienne vice-présidente du club de découverte culinaire l'indifférait. Cammy en avait été bouleversée. Elle réalisait que ses anciens camarades se fichait éperdument d'elle, surtout depuis que la "petite prodige" avait perdu une année. Comme si elle avait redoublé.

Un an. Elle avait perdu un an de sa vie. A cause de faits qui lui avaient été injustement reprochés. Elle avait gagné le mépris des élèves quand ils ne la dévisageaient pas. Ou alors c'était tout l'inverse. Jamais elle n'avait autant intéressé "le sexe fort". Jusqu'à présent, le seul qui avait éprouvé un certain intérêt pour la rouquine avait quitté Keimoo après le lycée pour aller à Tôdai. La seule différence c'est que lui l'avait courtisée pour ce qu'elle était réellement et ce, peu après leur première rencontre, lorsqu'elle avait débarqué à Keimoo avec ses parents. Il arrivait à Cammy de se demander ce qu'il devenait. Shion Niwa. Il avait eu des prédispositions en basket-ball et aurait pu intégrer un grande université américaine...s'il n'y avait pas eu cet accident.

Elle poussa un soupir tandis qu'elle s'allongeait sur un banc de pierre disposé là, entre deux statues de pierre représentant pour l'un un dragon chinois, et pour l'autre un bouddha. Au dessus d'elle, au dela des plantes grimpantes et interminables, la blancheur immaculée des parois de la serre. Elle ferma les yeux, tendis le bras droit, le remontant comme on lève les bras sur la neige pour former les ailes d'un ange... jusqu'à ce qu'elle frémisse au contact de quelque chose. Une plante en grappe. Elle la reconnut pour l'avoir plantée elle même voilà un mois. Toutes les deux, elles se ressemblent.
Solitaires. Cammy et son amie, la bruyère. Elle esquissa un faible sourire.

You are so sweet and I'm so alone
Oh darling please
Tell me you're the one
I'll buy you flowers,
I'll buy you flowers
Like not other girl did before...

Murmurant ce refrain du bout des lèvres, elle caressa la belle plante du bout des doigts. Sa chevelure tomba alors en cascade de part et d'autre du banc, chauffant par son pigment cette atmosphère paradisiaque et douce, à l'instar d'un astre face auquel elle se sait incompatible.
Elle ferma lentement les yeux, tout en pensant à la version française d'Alice au Pays des Merveilles qu'elle venait d'acquérir (ce qui montait à trois le nombre d'exemplaires de ce fabuleux conte en sa possession). Elle avait étudié un seul passage en première année de collège, bien avant d'arriver au Japon, alors qu'elle apprenait le Français.

- Je vais beaucoup manquer à Dinah ce soir, j’en ai bien peur ! J’espère qu’on pensera à lui donner sa soucoupe de lait à l’heure du thé. Ma chère Dinah, comme je voudrais t’avoir ici avec moi ! Il n’y a pas de souris dans l’air, je le crains fort, mais tu pourrais attraper une chauve-souris, et cela, vois-tu, cela ressemble beaucoup à une souris. Mais est-ce que les chats mangent les chauves-souris ? Je me le demande...

Elle ne se souvenait plus de la suite, mais ce passage restait profondément enfoui dans sa mémoire. Souvenir d'un temps ou les récréations lui étaient étrangères, ou se résumant à quatre murs, des pupitres, un tableau noir et une armoire remplis de livres.
Elle fredonna, telle une sourdine, les notes des paroles précedemment récitées.

... ♪

Spoiler:

Dame de Lotus

La rumeur des gens qui m’entouraient se mêlait au cahotement du bus, incessante. Appuyé contre une paroi, tout près d’une fenêtre, je me laissai bercer par le mouvement régulier du véhicule sur les aspérités de la route, capturant du regard quelque image fugace des passants sur le trottoir.
Voilà bien longtemps que je n’avais pas pris les transports en commun ; à vrai dire, mon entrée dans le monde du mannequina, il avait de cela plus d’un an, avait signé le début d’une routine faite de taxis et de voitures affrétées par mon agence – comme si je n’étais pas capable de me déplacer seul !

Mon regard s’accrocha sur une chevelure rousse au fond du bus – un couple de touristes, à première vue – et je m’accordai un sourire.
Il avait de cela quelques semaines, cette vision - anodine pour n’importe qui d’autre - m’aurait sûrement dévasté, rien qu’à l’idée de Sora dans son lit d’hôpital mais, depuis peu, elle m’évoquait une autre personne, dont la pensée m’était bien plus douce.
Et c’était cette personne, ma jolie Cammy, que j’allais voir à cet instant.

Glycine : Tendresse pour un ami

Le bus me déposait exactement devant l’Académie Keimoo. Il me sembla étrange de me trouver là aujourd’hui, alors que je n’y avais jamais mis les pieds durant ces deux dernières années, bien que Sora y fasse sa scolarité ; mais il fallait bien avouer qu’il n’était pas franchement de ceux que l’on associe aux études.
Je laissai mon regard s’égarer sur le haut portail de fer forgé, puis sur la cour bordée d’arbre qui s’étendait derrière, et une pointe de nostalgie me prit au souvenir de mes propres années de lycée.
Cela faisait combien de temps ? Sept, huit ans, peut-être ?
Est-ce que les professeurs se souvenaient de moi ? De mon arrogance, de mon inévitable cour d’admirateurs, de tous les problèmes que j’avais pu créer ? Avaient-ils fait le rapprochement entre moi et Orphée, mon petit frère ?
Un instant, je fus pris d’un doute qui me stoppa net. Avais-je bien vérifié que je ne risquais pas de le croiser ? Je secouai la tête. Il fallait que j’arrête d’hésiter.
Après tout, croiser Orphée pourrait – qui sait ? – peut-être être une bonne chose. Peut-être qu’après tout ce temps, je serais capable de lui pardonner son silence.

Je soupirai. L’heure n’était pas aux histoires de famille.

D’un geste du menton, j’interpellai un étudiant.

« Hey, gamin. Je cherche quelqu’un, tu crois que tu peux m’aider ? »

Il sembla hésiter, se doutant probablement que si mon visage lui était familier, ça n’était pas parce que j’étudiais ici.

« J’sais pas, lâcha-t-il. Vous cherchez qui ? »

Je réprimai une grimace. « Vous » ? Allons bon ! Je ne faisais pourtant même pas mes 25 ans. Etaient-ce les vêtements de marques qui le poussaient à me vouvoyer ?

« Une certaine Cammy Logan, annonçai-je de but en blanc. Elle est étudiante en deuxième année d’Histoire. »

Le gamin me lança un regard dubitatif.

« Je connais pas ceux d’la fac. Mais j’crois que celle-là, c’sont des étudiantes aussi, vous pouvez toujours demander. »

Je le remerciai d’un geste de la tête (son manque d’élégance ne méritait pas plus), et me dirigeai vers le groupe qu’il m’avait indiqué.

« Excusez- moi, mesdemoiselles ? commençai-je. Pourrais-je vous poser une question ? »

Azalée : élégance

La serre était un peu à l’écart du reste de l’Académie, écrin de verdure où les élèves férus de jardinage pouvaient se réfugier quand ils le souhaitaient. Du temps de mes propres années de lycée, je n’y avais jamais vraiment passé de temps, si ce n’était pour flirter à l’abri des regards, mais j’appréciais la beauté de l’endroit.

J’y entrai sans bruit, soudain saisi par le foisonnement des glycines et des bougainvilliers qui grimpaient partout où ils le pouvaient. À mes pieds, des bacs bien rangés de pensées, de géraniums et d’azalées de toutes les couleurs me rappelaient irrésistiblement les fleurs chantantes d’Alice au Pays des Merveilles, et j’eus un sourire à cette pensée.
Le parfum entêtant d’un datura m’accueillit, comme pour m’inviter à aller plus avant dans la serre.
Cammy était là, allongée sur un banc de pierre, ses doigts jouant sur les innombrables clochettes d’un plan de bruyère de la même couleur rosée que le pull de cachemire qu’elle portait à notre première rencontre.

Je la rejoins en quelques pas, avant de me pencher vers elle.

« Ce décor te va décidément mieux que l’hôpital. » lâchais-je dans un souffle tout près de son oreille, pour la faire sursauter.

Elle était encore plus jolie que dans mon souvenir.

Géranium : Amitié, estime.

Spoiler:

Sweet Blossom

Bleuet : Timidité

« Narcisse... c'est toi... »

Elle a levé les yeux vers moi, à peine surprise de me trouver là, et je lui adressai un sourire, tout à ma joie de la voir enfin.
Je regardai sa main s’approcher de mon visage, effleurer mes cheveux, et je me demandai un instant d’où venait cette soudaine assurance dont elle faisait preuve, elle qui m’avait semblé tout en réserve à notre première rencontre.

Puis, comme si elle venait de réaliser son geste, elle poussa un cri de surprise – tout à fait charmant, au demeurant – avant de se retirer prestement, les joues aussi rouges que les corolles écarlates des pivoines que l’on pouvait apercevoir un peu plus loin.

« Vous... je... Oh my God, Narcisse... »

Je laissai échapper un léger rire, amusé de constater qu’elle était définitivement égale à elle-même. Elle fit volte-face pour masquer son embarra, et je m’approchai légèrement, désolé de l’avoir à ce point surprise. Je n’eus cependant pas le temps de réagir qu’elle se tournait à nouveau vers moi, avant de se lever pour reculer de quelques pas.

« Je... Pardonnez-moi, j'ai cru que je rêvais encore. Je suis une idiote... »

J’esquissai un nouveau sourire, espérant la rassurer.

« Ce n’est rien, voyons ! Je me doute que tu ne t’attendais pas à me voir ici. Et puis… » Réduisant d’un pas la distance qu’elle avait instaurée entre nous, je continuai avec douceur : « C’est à moi de m’excuser, pour t’avoir réveillée. »

Elle sembla un bref instant plongée dans ses pensées, tandis qu’elle m’observait, et je constatai à nouveau la rapidité avec laquelle son expression pouvait changer, alors qu’elle semblait soudain se détendre.

« Mais non, je suis bête, que feriez-vous ici ? C'est la Golden Week, vous devez avoir d'autres obligations. Wake-up Cammy. »

Son ton aussi avait changé, et je m’étonnais de constater qu’elle ne croyait apparemment pas à ma présence ici. Elle fit quelques pas en ma direction, sans pour autant me prêter attention, et j’hésitai sur la conduite à prendre, pour le moins troublé par sa réaction.
Ainsi, se croyant toujours dans le monde des rêves, elle semblait plus confiante, et je me demandai un moment pourquoi ma présence la troublait autant, en temps normal. J’étais pourtant loin d’être quelqu’un d’intimidant, me semblait-il.

Bruyère : Rêverie solitaire

Réduisant encore la distance qui nous séparait, je posai ma main sur son épaule avec douceur pour affirmer ma présence, avant de répondre dans un souffle :

« Je suis pourtant bien là. »

Je fis glisser ma main le long de son bras avec légèreté, avant de la laisser posée sur son poignet, comme si je craignais qu’elle ne s’échappe en s’apercevant que j’étais bel et bien là.

« Ça n’a pas été si dur de te trouver, tu sais. Tu m’avais dit où tu étudiais ; à partir de là, il me suffisait de demander. J’ai eu la chance de tomber rapidement sur des filles de ta classe. »

Je jetai un regard autour de moi, comme pour détailler notre décor, puis reportai mon attention sur elle.

« Cet endroit n’a pas changé… J’ai été élève ici, tu sais. J’ai dû arrêter la fac juste avant que tu n’arrives, je suppose. »

Un instant, je me demandai ce qu’aurait été ma vie si je n’avais pas arrêté mes études. Faire de l’Anglais à un niveau universitaire à Keimoo ouvre automatiquement des portes vers l’étranger. Mais, alors, je n’aurai pas rencontré Lawrence, Cammy, Lewis… Ni Sora.
Il me sembla que mon cœur se serrait dans ma poitrine, au rappel de Sora dans son lit d’hôpital, et je m’empressai de chasser cette idée de mon esprit.

Soudain las, j’allai m’asseoir sur le banc qu’elle occupait un instant plus tôt, la main tendue devant moi, mes doigts mêlés aux siens pour ne pas rompre le contact. Je sus en levant les yeux vers elle que j’avais pris la bonne décision en cherchant à la revoir. Quelque part, elle était la seule personne capable de m’apaiser un tant soit peu après ce qui s’était passé en Janvier, et ce, malgré le fait que je la connaissais à peine.

« J’avais envie de te voir. La dernière fois… Ta présence m’a fait du bien, tu sais. J’en avais vraiment besoin. »

Myosotis : Souvenir fidèle

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Never Fall In Love

Pivoine : timidité

“ J'espérais vous revoir aussi... mais pas à l'hôpital. Je suis désolée, depuis la dernière fois je ne suis plus retournée au chevet de... ”

Elle se tut soudain, laissant sa phrase en suspend.

Je fronçai les sourcils, à présent vraiment curieux : elle m’avait dit connaître Sora de l’Académie, mais au final, je n’avais aucune idée de la nature de leur relation. Ils vivaient clairement dans deux mondes différents - de la même façon que Sora et moi - mais au regard de son caractère, je peinais à deviner comment ils pouvaient bien se connaître. D’autant que malgré les nombreuses visites à l’hôpital, et les bouquets de marguerites, j’avais la nette impression qu’elle ne le portait pas dans son coeur.

Je n’eus cependant pas le temps de chercher à en savoir plus, puisqu’elle ajouta d’une voix douce :

“ Excusez-moi, je reviens tout de suite. Attendez-moi ici, s'il vous plaît. ”

J'acquiesçai simplement d’un geste de la tête, avant de passer une main lasse sur mon visage. J’étais épuisé. Aujourd’hui, si j’avais tenu à la voir, c’est parce qu’elle m’apaisait. Sa rencontre m’avait, certes, aidé à remonter la pente, mais je n’avais, hélas, fait qu’un tout petit pas dans cette entreprise. Je ne dormais toujours pas. Dès que je fermais les yeux, je revoyais Sora s’effondrer devant moi, son corps inerte heurtant le bitume avec un bruit sourd, et le bruit du coup de feu résonnait dans mes oreilles.
Passer du temps avec Cammy ne m’aidait en rien à l’oublier - loin de là, puisque depuis l’hôpital, j’avais tendance à les associer l’un à l’autre - mais elle rendait curieusement l’attente moins pénible, et le poids de ce souvenir plus supportable. Bien que je fusse intimement persuadé qu’elle ne s’en rendait pas compte, évidemment.

Violette : modestie

“ J'aimerais vous faire un cadeau. ” dit-elle de but en blanc après un silence.

Je haussai un sourcil, curieux, et la regardai s’éloigner, et s’affairer plus loin dans la serre. Elle revint bientôt avec des fleurs, et tout ce qu’il fallait pour composer un bouquet, et se mit à l’ouvrage, assise à même le sol devant le banc.
Elle était adorable. Elle était là, à s’affairer sous mes yeux, infiniment concentrée, et tellement appliquée. Bien sûr, je savais ce qu’elle faisait. Ce qui m’échappait, en revanche, c’est... pourquoi le faisait-t-elle ? Après tout, elle était celle qui méritait que je lui offre des fleurs, pas l’inverse. Elle m’avait tiré du puis dans lequel je pataugeais depuis des semaines. Moi, je n’avais rien fait pour elle ; du moins pas à ma connaissance.

Le bouquet terminé, elle me le tendit sans manquer un battement, et mon coeur se serra tandis que mon regard tombait sur les tâches de couleurs des fleurs qu’elle avait choisies.

“ Je sais que les femmes ne devraient pas offrir de fleurs, mais ce n'est pas juste. ” dit-elle en levant les yeux vers moi. “ Un homme avec un bouquet, ça donne le sourire ou une pensée positive à quiconque le croise... Enfin, c'est le cas pour moi. ”

Des pivoines, et des violettes. Timidité et modestie. Et des tulipes et des roses-lavande, symboles d’amour. Je me mordis la lèvre.

Bien sûr. C’était là la raison de l’agitation qu’elle montrait en ma présence. Se doutait-elle que je puisse connaître le langage des fleurs, ou bien espérait-elle, à l’inverse, que je ne puisse pas déchiffrer le message caché dans son bouquet ?

Qu’importe, il fallait que je lui réponde ; ou du moins, que je réagisse.

Rose-lavande : je suis tombé amoureux de vous

Je m’emparai délicatement du bouquet, effleurant les pétales d’une rose-lavande du bout de mon doigt.

“ Cammy, c’est... ”

Je me mordis à nouveau la lèvre, cherchant mes mots. Des déclarations, j’en avais déjà reçues - aussi prétentieux que je puisse paraître en disant ça - et je n’avais jamais eu de mal à les décliner. Mais là, c’était différent. Cammy était la dernière personne que je voulais blesser.
Pourtant, je me doutais bien qu’elle connaissait déjà ma réponse - après tout, c’est au chevet de Sora que nous nous étions rencontrés - mais comment supporterait-elle de l’entendre de vive voix ?

Je soupirai.

“ C’est magnifique. ” commançai-je. “ Je suppose que... leur sens est délibéré, n’est-ce pas ? ”

Je cherchai dans son regard quelque signe d’approbation, et me retins de détourner le mien.

“ L’autre jour, à l’hôpital... Tu ne m’as pas demandé qui était Sora pour moi. C’est parce que tu l’as deviné, n’est-ce pas ? ”

Je ramenai le bouquet contre moi, fixant Cammy avec appréhension. Je ne pouvais me résigner à le lui dire clairement. Je savais bien que c’était encore plus cruel de le lui faire dire, mais j’étais bien incapable de le faire moi-même ; probablement parce que cela reviendrait à devoir lui expliquer que j’aimais un garçon de huit ans mon cadet sans qu’il m’aime en retour, et dans le coma de surcroît. Un tableau fort peu reluisant, il fallait bien l’admettre.

Tulipe rouge : amour éternel

Fleur de Saison

Violette de Parme : Laisse-moi t’aimer.

Mon regard tomba sur la fleur minuscule qui se détachait sur la peau d’albâtre de Cammy. Elle était allée la cueillir après un instant de réflexion et, alors qu’elle revenait vers moi tendant son modeste présent devant elle, il me semblât que dans ses yeux brillait une détermination nouvelle.

“ Les chrysanthèmes et les narcisses parlaient d'eux-même, ” dit-elle doucement en se rasseyant. “ Tout comme vos bandages.”

Un sentiment de malaise mêlé de honte m’étreignit la poitrine et, par réflexe plus qu’autre chose, je ramenai mes bras contre moi, comme pour masquer au regard les preuves de cet épisode funeste. Je n’aimais pas en parler, et encore moins que l’on m’en parle. Les souvenirs de ce jour me semblaient lointains, comme si, plutôt que de l’avoir vécu, on me l’avait raconté ; pourtant, l’absence de Sora me rappelait sans cesse à l’incident, et à tout ce qui avait suivi.

Le ton de Cammy se fit rassurant quand elle reprit la parole, comme si elle avait deviné le fond de ma pensée.

“ Ne vous inquiétez pas, Narcisse. ” commença-t-elle. “ Tout va bien... Et ne perdez pas espoir. Mon père dit que son réveil ne dépend plus que de lui, et de sa volonté. ”

Je baissai les yeux.

“ C’est ce qui m’inquiète, justement. ”

Machinalement, je commençai à faire tourner la violette entre mes doigts, la fixant sans vraiment la voir. Je savais que Cammy voulait détourner l’attention de sa “déclaration” - et je ne pouvais pas l’en blâmer - mais je n’étais pas sûr d’avoir la force de parler de Sora. Il me manquait et pourtant, plus que jamais, je prenais conscience de la distance qu’il y avait toujours eu entre nous - si tant est qu’il y eut jamais de “nous”.

Je soupirai discrètement.

De toute façon, il aurait été malvenu de ma part de parler de lui en présence de Cammy, quand bien même elle avait elle-même abordé le sujet.

Bruyère : Amour solide, force, solitude

Redressant le buste, je me tournai vers elle.

“ Merci, Cammy. Je n’ai plus qu’à attendre, maintenant - ça ne servirai à rien de me morfondre davantage, n’est-ce pas ? ”

Posant la fleur délicate sur mes genoux, je m’emparai de mon sac, avant d’en extirper une carte de visite que je tendis à Cammy après y avoir annoté mon numéro personnel.

“ Je n’avais pas pensé à te le donner la dernière fois, je crois. C’est égoïste de ma part de te demander ça, mais j’aimerai bien qu’on se revoit de temps en temps, qu’en penses-tu ? ”

Je l’observai un bref instant, constatant avec surprise que, si la différence d’âge entre nous ne m’avait guère sauté aux yeux lors de notre rencontre, elle me paraissait beaucoup plus évidente à présent. Ne risquais-je pas de la gêner en insistant pour la revoir malgré son attachement envers moi ? Sans m’en rendre compte, j’avais commencer à faire jouer une mèche de cheveux entre mes doigts (signe évident de stress de ma part, et que ceux qui me connaissaient bien remarquaient généralement aussitôt), et, confus, je détournai le regard.

“ Je tiens à t’inviter à déjeuner bientôt, si tu as le temps, ” continuai-je tout de même. “ Pour te remercier. ”

Inspirant profondément, je relevai la tête. Juste au dessus de nous, les bougainvilliers formaient un dais d’un rose sombre, intense, et la lumière du soleil qui filtrait au travers le faisait ressortir de la plus belle des façon. Je laissai mon regard errer dans la serre un bref instant, pour reprendre ma contenance, et mon regard se posa sur la bruyère qui fleurissait juste à côté du banc où nous étions assis, puis sur un parterre d’immortelles juste un peu plus loin (magnifiques, avec le coeur d’un jaune d’or éclatant, et le tour, ainsi que les pétales du bas, d’un rouge sombre et pourtant très chaud, presque orangé).

Je me devais de l’admettre : j’avais besoin de Cammy.

“ Tu m’a probablement sauvé la vie, tu sais, ” ajoutai-je à mi-voix, espérant presque qu’elle ne m’entende pas.

Immortelle : souvenir, constance, regrets