Un déjeuner plutôt agité.

Le mois de mai s'annonçait avec la chaleur de l'été. Luc n'aimait pas l'été, il ne l'appréciait seulement que pour la plage et les filles en bikini. Il ne supportait pas cette saison d'une part, car il fait souvent trop chaud ce qui provoque en lui de grosses irritations - un poing est trop facilement parti lorsqu'on le titille de trop pendant cette période.. - et d'une autre part, car l'été est synonyme de vacances et que pendant les vacances, il doit retourner dans son pays natal pour s'occuper de sa famille, du moins de ce qu'il en reste. Les jours heureux disparaissaient peu à peu. L'absence de Lun le tiraillait, corps et esprit. Quand il se mettait à penser à lui, à la moindre prononciation de son nom, Luc sentait des picotements lui déchiqueter le cœur et des espèces de brûlures à l'estomac qui ne s'estompaient jamais. À quoi bon parler de lui à un psy ? Ou même essayer de comprendre son départ précipité. Ce qu'il retenait de cette histoire c'est qu'il l'avait lâchement abandonné, voilà tout. Malgré ça, il ne ressentait aucune haine, aucune colère envers son meilleur ami, il l'aimait d'un amour extrêmement fort, d'un amour fraternel. Ils étaient liés par le pacte du sang, un pacte vieux comme le monde, fait quant ils étaient plus jeunes. Chacun s'était légèrement entaillé la main, puis avait mélangé le sang coulant avec l'autre en s'échangeant mutuellement une promesse sincère. La vie continuait malgré tout. Difficilement. Au fond, il ne pouvait pas réellement lui en vouloir, car lui-même n'avait pas été beaucoup présent dans sa vie ces derniers temps, c'était comme qui dirait un coup rendu. Ou qui sème le vent, récolte la tempête, n'est-ce pas ?

Dans l'amphithéâtre de l'université se tenait un pauvre type, adossé sur chaise, qui luttait contre les heures accumulées de sommeil en moins qu'il loupait chaque soir et tentait malgré ça de rester éveiller jusqu'à la fin du cours. Sa tête ne souhaitait qu'une chose : se fracasser sur la table une bonne fois pour toute et dormir. La sonnerie retentit, ce qui enthousiasma secrètement le jeune rebelle qui se hâta aussitôt de sortir des lieux. Il se leva alors de sa chaise, empoigna vivement son sac et se dirigea vers la sortie. Un peu plus et je crevais, pensait-il.

Luc suivait une foule d'étudiants qui se dirigeaient tous au même endroit, le réfectoire.

La pause déjeuner s'annonçait. La bouffe de la cafétéria était un peu chère, malheureusement pour lui, il n'avait pas eu le temps ce matin de se préparer un bentô, bien que cuisinier ne soit pas sa grande passion, ni même son fort, il s'obligeait à se préparer un panier repas consistant chaque matin, aux aurores, pour ses journées bien remplies, car l'argent manquait beaucoup ces temps-ci, il ne pouvait pas se permettre d'acheter quotidiennement des tickets repas à la cafèt. Alors aujourd'hui il profiterait de cette nourriture réputée d'exceptionnelle - rien que des rumeurs, il n'avait pas l'occasion de les vérifier jusqu'à maintenant - et se rajouterait ensuite des heures supplémentaires au boulot pour rattraper la légère carence de son budget qu'il s'apprêtait à dépenser pour manger. Dorénavant il n'oublierait plus sa bouffe, question de survis. Pourquoi ne jeûne t-il tout simplement pas le déjeuner ? Simplement parce qu'il ne le peut pas. Ses activités sont tellement intenses qu'il s'effondrerait s'il ne se nourrissait pas et puis, faut bien entretenir convenablement ce grand - grand c'est le mot- tas de muscles. Veut pas devenir squelettique le pauvre et ça se comprend, il ne veut pas non plus finir anorexique et tout mince comme un certain Athos. Si son valet veut pouvoir le protéger, faut qu'il se nourrisse. D'ailleurs Luc ne mange pas par envie, mais par nécessité.

Une queue abondante, comme tous les midis, se tenait le long de l'entrée de la cafèt. Quelques abrutis s'amusaient à dépasser les autres. Ils eurent la malchance et maladresse de bousculer l'épaule du grand brun aux yeux bleus. Il fait chaud aujourd'hui. Et quant il fait chaud, n'oublions pas qu'il est très facilement irritable.

« Putain d'enfoiré. » Et le coup de poing retentit.

Une bagarre plutôt ridicule débuta au milieu d'étudiants qui n'osaient pas s'en mêler.

Depuis quelques temps la vie de Kaoru se résumait assez simplement dans un mode semi-automatique, les journées se suivaient et se ressemblait, toutes aussi usantes les unes que les autres, à croire que le coach et les profs s’étaient mis d’accord pour trouver un moyen de les transformer en zombies sur pieds. Alors quand vient la pause du déjeuner, on a seulement envie d’en profiter, pour premièrement se remplir l’estomac, et deuxièmement se détendre avant de subir la seconde moitié du chemin de croix quotidien.

Lui qui avait l’habitude de préparer ses repas et parfois aussi ceux d’Ana il avait du mal à trouver l’énergie pour se mettre à la tâche. L’espagnole avait bien sûr proposé de le faire, mais on sait tous que la laisser sans surveillance dans une cuisine, c’est comme se balader près d’un volcan en éruption, la question n’est pas « va-t-il y avoir une catastrophe » mais « quand va-t-il y en avoir une ? ». Sans compter que le troisième colocataire est dans une de ses phases où on ne le voit plus mettre le nez hors de sa chambre, ce qui explique pourquoi Kaoru fréquentait la cafétéria de l’université.

Et encore une fois aujourd’hui en apercevant la file qui attendait patiemment il savait pourquoi il n’aimait manger là ! Oh la nourriture était bonne, mais vraiment trop de monde et de brouhaha, c’était désagréable, lui qui aurait bien aimé manger dans un coin dehors au calme, quitte à en profiter pour dormir une demi-heure. Il y avait au moins un avantage, celui de faire partie de l’équipe universitaire, en temps normal Kao ne court pas après les privilèges, mais le fait est que pouvoir se permettre de passer prioritaires il avait fini par s’y faire ! Au début ça l’avait un peu déranger surtout quand il constatait les regards mécontents de ceux qui devaient faire la queue, il l’avait faite une fois, et depuis il avait décidé de mettre de côté ses beaux principes.

Il avançait donc remontant la file ignorant les autres, et prêtant une oreille distraite à la conversation de ses camarades nageurs, ça aussi… en ce moment il avait la sensation d’être toujours avec vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ce n’est pas qu’il ne les aimait pas non, il les connaissait depuis un moment et c’étaient pour la plupart des camarades sympas, ou des amis, seulement il arrive un moment où on atteint une espèce de saturation. Et puis l’esprit de groupe en natation n’a pas autant d’importance que s’il pratiquait un sport collectif.

-… et donc là je lui ai répondu … sérieux c’est du vol… au bout d’une semaine… auraient dû le reprendre... tu trouves pas ?

-Ah… ouais surement.

La réponse un peu laconique n’eut pas l’air de perturber plus que ça son collègue sportif qui continua sa tirade en se plaignant pour une histoire de lecteur MP4 défectueux. Il avait l’air sérieusement remonté, il faut dire que l’appareil en question lui avait coûté cher, l’écran s’était fendu sur toute la longueur pour une raison X ou Y. Bien sûr lui il n’y était pour rien, mais le magasin ne pouvait pas le croire sur parole… logique, mais frustrant pour lui. Et du coup il était sur les nerfs, déjà que ce gars avait tendance à démarrer au quart de tour…

Ce fut surement la raison pour laquelle alors qu’il était trop occupé à râler il bouscula par inadvertance la mauvaise personne, toujours est-il que la suite se déroula un peu trop vite pour le cerveau en veille de Kaoru.

« Putain d'enfoiré. »

C’est l’autre qui avait répondu, joignant vivement le geste à la parole. Le nageur ne fut pas long à la réplique et le pugilat commença, sous le regard un instant médusé et surpris de l’assistance. Après quelques secondes, le temps que le tout monte bien jusqu’au cerveau, certains se dirent qu’il était temps d’intervenir, en fait c'était le reste de l'équipe de natation. Oui on n'allait pas demander à la jeune fille à lunette qui se tassait contre le mur de s'interposer...

-Hey, les gars faut les séparer sinon on va avoir des emmerdes !

-Ouais, on fait ce qu’on peut ! s’entendit-il répondre alors qu’il s’était retrouvé avec l’aide d’un autre mec de l’équipe de natation, à essayer de calmer l’inconnu.

C’est toujours plus délicat quand on se retrouve à devoir « gérer » la personne qu’on connait le moins dans une bagarre, parce que la personne en question n’a pas autant de scrupules à vous envoyer valser…

-Hey, allez… Calme toi, c’est bon… Il l’a pas fait exprès… Tu vas t’attirer des ennuis s’tu continues.

On pouvait toujours compter sur le fait que le gars était doté d’un minimum de self control, et de réflexion, Kaoru espérait juste à l’heure actuelle ne pas faire les frais d’un dégât collatéral, c’est qu’il avait de la force le grand nerveux, encore une chance que lui-même et ses potes ne soient pas des allumettes non plus ! Même si honnêtement en matière de violence le sportif n’y connaissait pas grand-chose, le conflit ce n’est pas son truc, lui il préférait éviter autant que possible. Pas par lâcheté, mais juste parce qu'il estime que c'est une perte d'énergie inutile, et quand on est plutôt flemmard l'énergie on l'économise.

- ... Hiro va te faire des excuses.. et on va tous pouvoir manger tranquille...

-M'excuser !! T'es pas bien, c'est ce taré qui m'a tapé dessus!

Forcément si l'autre décide de compliquer le jeu... ce que les gens bornés peuvent être agaçants!