Chienne de fille.

C'était une belle matinée d'août, le soleil baignait la ville nippone de ses rayons chaleureux dans une ambiance des plus ardentes. Et encore plus brûlante pour ce qui concernait et entourait Tsumi, lequel se baladait dans le centre commercial d'un pas énergique, le cerveau bouillonant de colère. Cette journée était, pour lui, placée sous le signe de la tempête. Et comme toute chose, cette tempête avait une origine.

Dans ce cas précis, l'origine s'appellait Namida Yume.

Le regard moricaud du jeune homme se posait furtivement sur les kanjis de chaque enseigne qu'il croisait au fur et à mesure qu'il avançait. Les garçons s'autorisaient bien trop de choses vis-à-vis d'elle, et Yume elle-même semblait plus s'en amuser qu'autre chose. Et pour quelqu'un d'aussi possessif que Tsumi, la laisser vagabonder aussi impunément et aveuglement était tout bonnement impensable. Qui savait ce qui pouvait arriver ? Et hors de question pour la racaille de risquer quoi que ce soit, en particulier de porter des cornes !

Oui, sortir avec Yume était fondamentalement dangereux. D'ailleurs, sortir tout simplement avec une fille l'était ; dans ce cas, les données étaient différentes. Yume était dans le même lycée, la même classe, ses parents et eux-mêmes se connaissent depuis plus d'une décennie, et pire que tout, il avait besoin d'elle. Autrement, il l'aurait jetée au bout d'une semaine au lieu de ne toujours pas envisager de rupture au bout de... quelques mois. Il ne savait plus combien, ça ne le préoccupait pas franchement. En ce moment, seuls les dires de ses amis et des rumeurs comptaient.

« Yume, la fille facile. Paraît qu'elle était à l'hôtel avec un mec de l'université... »

« En Angleterre, elle a fait le trottoir. Si, si, j'te jure ! »

« Quand elle se drogue, tous les mecs peuvent se la taper, c't'une vraie salope ! »

« Elle sort avec l'autre, là, Tadashii, ouais. N'empêche, c'est chez Marv qu'elle dort.
On a vu des gosses chez eux. Et si ce mec était suffisamment cool pour lui servir de
couverture, pour pas qu'on apprenne que Marv et Namida se sont pas protégés en
baisant et ont eu des gosses ? A moins que Tadashii sorte vraiment avec elle et soit
trop con pour être au courant de rien. Fu fu ~ ♥ »

Déjà ça, c'était rageant ; Tsumi passait donc pour le pigeon de service. Mais quand les amis rajoutent une couche à toutes ces bêtises, la racaille se sent encore plus humilié et furieuse.

« Hey mec, j'ai vu une meuf trop canon samedi soir, regarde sur mon portable ! »
« ... »
« Ah, même toi t'en restes sans voix ! C'dommage qu'elle ait filé si vite, j'l'aurais bien baisé. »
« C'ma meuf cette fille, connard. »

Et après, et ça n'avait jamais raté, le mec s'était toujours trouvé con et s'était excusé plus ou moins. La dernière fois, c'était Mao, et lui avait éclaté de rire en disant à Tsumi qu'il était un "sacré p'tit veinard". Oui, ou pas. Ça dépendait cruellement du point de vue...

« Qu'est-ce que je peux faire pour vous, monsieur ? »

C'est dans une boutique pour animaux qu'avait fini la course de Tsumi. Ne sachant quoi faire, quoi choisir, il préféra s'adresser directement à la vendeuse. C'était une jeune fille plutôt petite, aux boucles d'ébènes plutôt longues et détachés, les prunelles onyx cachés derrière de fins verres correcteurs. Elle semblait jeune, timide et aimable. A son annulaire brillait une alliance dorée. Son regard un peu longuement fixé sur ce bijou gêna la jeune fille, qui brisa le silence en lui confiant qu'elle s'était mariée le mois dernier, ce qui fit sourire Tsumi. Ainsi donc, le mariage était un prétexte au bonheur, vu l'air heureux et épanoui que la vendeuse affichait. Un air plutôt naturel qui l'appaisa quelque peu, mais ne le dissuada en rien d'atteindre son dessein.

« Je cherche... à tenir en laisse ma chienne. Elle est difficile à dresser, et refuse souvent de m'obéir ; il n'est pas rare qu'elle s'enfuit de chez moi et ne revienne que le lendemain sans que je ne sache où elle a été. »
« Ah oui, je vois. Certains chiens sont parfois difficiles, mais avec un peu de nourriture et de douceur, il est moins compliqué de les dresser. Ils ressentent notre amour pour eux, ça les rassure. »
« Mouais, si on veut... Z'avez quelque chose à me proposer ? »
« Et bien, vu que vous avez une vague idée de ce que vous désirez, je peux vous suggérer un collier avec une plaque d'identité. J'ai un magnifique collier en arrière-boutique, si cela vous intéresse, je peux vous le montrer... »
« Oui, apporte-le s'il te plaît. »

Surprise par cette soudaine familiarité, la vendeuse rougit mais ne répliqua rien, tournant rapidement les talons pour aller chercher le collier en question. Dans un soupir, Tsumi s'accouda sur le comptoir, le menton au creux de sa paume en l'attendant. Les chiens ressentent l'amour de leur maître... Possible, mais aimer et être doux avec Yume ne faisait pas partie de son programme. Il ne partageait pas les sentiments qu'avait la jeune rebelle à son égard, et c'était sans doute mieux pour elle ; sa souffrance n'aurait pu que croître. La demoiselle revint peu de temps après son départ, avec un collier couleur vermeille entre ses doigts fins. Il avait l'air souple, ce qui se confirma lorsque Tsumi le manipula. Avec un sourire gêné, la jeune femme le fuya du regard en lui parlant.

« Ce collier a été réalisé en cuir végétal et fait 45cm. Il est... teinté et tanné sans métaux lourds, le tannage végétal étant préférable pour être sans danger pour la santé et l'environnement. Comme vous pouvez le constater, son cuir est de première qualité, extrêmement souple... et doux. La bouclerie est sans nickel, pour éviter toute allergie avec votre chien... Est-ce qu'il vous convient ? »
« Mmh... Je te fais confiance alors. Tu peux me l'emballer ? C'est pour offrir. »
« Très bien, monsieur... »

Au dernier moment, elle fit demi-tour avec un grand sourire.

« Il y a une laisse réalisée dans la même matière et de la même couleur que ce collier. J'ai pensé qu'elle pourrait vous intéresser... »

Un petit signe de la tête par le garçon, et la vendeuse s'en alla de nouveau dans l'arrière-boutique, ramenant la laisse en question. Et en effet, elle l'intéressait. Ce fut donc les yeux brillants d'une lueur particulière que Tsumi souri à la vendeuse, qui s'empressa d'emballer dans un papier cadeau les deux achats. Juste avant de payer, le lycéen lui demanda si elle avait un téléphone portable. Elle aquieça sans plus y réfléchir, et eut bientôt en main un bout de papier sur lequel Tsumi avait écrit son numéro personnel. Embarrassée, elle s'empressa de lui rappeller qu'elle était mariée. Il lui souri d'un air qui se voulait confiant et sincère, ayant absolument tout perdu de sa rage intérieure.

« Que tu le sois ou non, ce n'est pas mes affaires, je ne vais pas te dévorer toute crue. Je voudrai juste te revoir, parce que tu es intéressante. »

Et il s'en alla sur ces bonnes paroles, les mains et le paquet cadeau en poche. Le lendemain, elle ne l'avait pas contacté, et lui l'avait déjà oubliée.