Cours d'architecture.

Invité

Assise sur le bureau, Maelys lisait un livre ennuyeux. Oui, ennuyeux. C'est pas parce qu'elle est professeur que lire un livre sur les pierres d'un monument vieux de 500 ans lui fait plaisir ! C'était loin de lui donner des frissons tout ça. Mais bon, les élèves étaient sages, participaient et écrivaient - ou faisaient semblant. Tout se passait à merveille depuis son arrivée. Tant mieux. Elle avait commencé son petit manège, et elle s'était d'ailleurs fait quelques amis parmi les professeurs - surtout des mâles. Cela la fit sourire alors qu'elle continuait à lire de sa voix basse et monotone. Elle ferma le livre d'un coup brusque, faisant sursauter les élèves au premier rang, et alla allumer le rétro-projecteur pour montrer les bâtiments dont elle avait parlé - elle alla même jusqu'à faire un jeu de mots, faisant rire quelques élèves. Elle n'avait pas à se plaindre, ils étaient gentils - certains avaient bien essayés de voir ses limites en début, mais elle les avait vite matés, avec ses répliques cinglantes et ses airs de matrone sérieuse.

Elle fit défiler les diaporamas, écouta la sonnerie retentir. Encore une heure. Elle en vit un dormir, eut un sourire et s'approcha doucement sous les rires bas de la classe, qui se demandait ce qu'elle allait encore trouver pour ennuyer la << Marmotte >>, surnom du dormeur. Elle mit ses mains sur les épaules du garçon, et enfonça violemment ses ongles. Il se réveilla en sursaut alors qu'elle se penchait vers lui d'un air presque menaçant.

<< - J'espère que vous faisiez un beau rêve ? Un rêve prémonitoire, peut-être ?
- Heu, non professeur !
- Quel dommage, vous ne pourrez donc pas me dire quel genre de pierres a utilisé l'auteur de notre oeuvre, ni sa provenance, et suuurtout pas la date de sa construction ? Vous êtes sûr que vous n'avez rien vu ? Votre antenne capte mal ? D'ailleurs, les marmottes ont l'ADSL ? Et le réseau mondial ? >>

Le garçon rougit sous les rires de ses camarades. Maëlys haussa un sourcil, soupira et pointa du doigt l'endroit dans le livre où tout était indiqué. Elle retourna sur l'estrade. Elle en avait marre - elle était fatiguée. Ce soir, elle allait encore une fois devoir s'entraîner. On lui avait déjà dit de se tenir sur ses gardes, de faire attention. La Russie l'avait envoyée ici pour prendre des renseignements. Elle avait déjà débuté ses recherches. Elle s'était mise en tête de séduire un homme de pouvoir qu'elle avait rencontré dans son hôtel. Elle pourrait toujours essayer de lui soutirer quelques infos. Au pire, elle s'en tiendrait à tout cela. Voilà la grande Maëlys Wassili, transformée en professeur d'architecture, vulgaire prof habillée d'un tailleur noir de satin, qui avait la désense de capter sa silhouette et de faire ressortir ses formes et de faire contraste avec ses longs cheveux blancs, qui étaient ce jour là lâchés en un amas de mèches rebelles. Elle repoussa d'ailleurs sa frange d'un geste agacé, et posa ses yeux dorés sur les élèves qui notaient et commentaient les images. Elle frotta un instant ses tempes avec ses index - ses yeux étaient dorés à cause d'une maladie des yeux. Sans gravité, certes, mais elle avait plus facilement des maux de tête. Elle soupira et retourna s'asseoir sur le bureau, dans une pose entre féminine et masculine, l'air de s'ennuyer aussi profondément que ses élèves. Elle était quelqu'un qui se montrait sympathique, et sérieuse, mais elle savait aussi faire rire et être assez généreuse pour ne pas punir - la preuve, la Marmotte copiait son cours. Il avait compris la leçon. Pour elle, les élèves devaient apprendre de manière à ce qu'on leur foute la honte, et pour qu'ils aient besoin de retrouver leur dignité. Ce n'était pas en les engueulant ou en leur mettant des colles que cela arrangerait. Mais derrière cela, bouillonnait son besoin de se dépensait, et elle avait parfois envie de leur foutre des claques. Elle regarda l'heure. Bien, il était presque 15h45. Le cours allait bientôt se terminer - elle allait enfin pouvoir rentrer chez elle et s'occuper de son chat et d'elle-même. Elle se mit à faire mentalement une liste de course. Elle devait acheter de quoi manger, mais surtout passer chercher ses produis de beauté et sa robe au pressing. Elle retira sa veste de satin, laissant voir sa chemise blanche ornée de perles, qui laissait deviner ses formes musculeuses et moins musculeuses. Elle s'étira sous le regard appréciateur de quelques mâles, et leur fit un sourire amusé. Elle se savait jolie, mais n'avait pas envie ni le temps d'avoir une vie privée - comment expliquer à un conjoint qu'elle devait séduire un ministre, voire coucher avec lui ? Et puis, c'était si souvent trop compliqué qu'elle ne souhaitait pas plonger là-dedans. Elle n'était jamais vraiment tombée amoureuse, et ça n'allait pas commencer - comme son père lui avait dit, elle aurait une vie sans passions. Une vie d'homme. Cela ne l'avait guère réjouie, mais elle s'était faite à cette idée. Elle fit défiler une autre diapositive, sous l'oeil de ses élèves, quand un bruit la fit sursauter, et elle se tourna vers la porte de l'amphithéâtre. Sa voix basse et musicale résonna, tandis qu'elle posait son regard doré sur l'entrebaîllement de la porte..

<< Qui est là ? >>

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Des cernes sous les yeux, l’air empâté, la chevelure blonde en désordre, quelques traces de maquillage étalé et à moitié effacé sous les yeux –accompagnant les fameuses cernes- les vêtements mal arrangés, comme si on venait de tirer dessus, un air un peu bovin. Oui, pas de doute, Wunjo avait typiquement la tête du mec qui venait de faire la bringue toute la nuit et qui se rendait, avec toute la mauvaise volonté du monde, le matin en cours.
D’ailleurs, sa tirade d’entrée en scène se résuma à un pathétique baillement.

Il balaya la salle du regard, ne reconnaissant personne. Idem pour la prof : inconnue aux bataillons. Il en était sur. Une prof comme ça, il s’en serait souvenu, le connaissant. Ce qui pouvait donc l’amener à deux conclusions. La première : mon vieux, tu sèches trop les cours. La deuxième : mon vieux, tu dors trop en cours. Les deux étaient vraies d’ailleurs, mais il s’étonnait tout de même d’être autant à l’ouest. C’était presque lamentable. Presque.

« Mm…Bonjour » lança-t-il à l’assistance, dont il était le centre d’attention, d’une voix étouffée par le sommeil.

Quelques chuchotements fusèrent. Certains pour critiquer cet énergumène malpoli, voire insolent. D’autres pour remarquer qu’on ne l’avait jamais vu dans l’coin. D’autres encore pour dire, avec une touche d’émerveillement dans la voix : « C’est Wunjooooo » -eh oui, popularité oblige. Et d’autres, enfin, pour remarquer, avec toute la pertinence du mal : « Il est pas maaaal ».
Puis, de nouveau, le silence.

« Désolé, problème de transport » marmonna-t-il en allant s’asseoir dans un coin plus ou moins vide, pour finir sa nuit tranquillement.

Fausse excuse ? Oui et non. Effectivement, il avait eu un problème de « transport ». Ses pieds avaient catégoriquement refusé de se mettre l’un devant l’autre entre le bar et l’académie. Mais bien sur, il ne pouvait pas présenter les choses ainsi, bien sur.

Le cours se déroula dans la somnolence la plus totale pour Wun. Ses yeux étaient ouverts, fixés sur le rétro projecteur, ses mains griffonnaient quelques notes quasi illisibles. Mais sa tête était ailleurs. Il était passé maitre dans l’art de jouer à l’élève attentif. Mais nulle doute, Wunjo était perturbé. Cela dit, il y avait de quoi.

La veille même, alors qu’il s’apprêtait à aller guincher bien comme il faut –comme presque tous les soirs d’ailleurs- il avait reçu un coup de fils de Misha. Fait rarissime. En général, ils ne communiquaient que par sms, effacé juste après avoir été lu, ou bien par message codé. Ce qui pouvait d’ailleurs expliquait pourquoi les gens qui avaient la bonne idée de vouloir lire ses messages tombaient sur des sms débiles du style : « Le chat est encore tombé à l’eau ».

Mais soit. La veille, il l’avait appelé, dans l’urgence, visiblement contrarié. Et il y avait de quoi. Il lui avait annoncé que des rumeurs leur étaient parvenues, selon lesquelles un espion au service du gouvernement russe avait été envoyé dans le même coin que lui, et même que probablement dans la même académie. On ne savait ni son nom, ni son age, ni son signalement, ni la raison pour laquelle il était ici. Wun s’en fichait, tout ce qu’il savait c’est qu’il allait falloir être deux fois plus attentif et vigilant, et ne surtout pas faire de faux pas –ce qui, dans son cas, était loin d’être gagné. Il savait se faire remarquer, le grand couillon. En se faisant arrêter par la police pour port de drogue, notamment… Il n’aurait certainement pas la médaille de la discrétion

La sonnerie annonçant la fin d’un cours, le début d’un autre, le tira de ses pensées. Autour de lui le bruit précipité des étudiants rangeant leurs affaires l’obligea à lui aussi se bouger. Il prit tout de même son temps, pas pressé. Il avait décidé de se changer les idées. Et ce, en allant voir la prof. Bien mignonne d’ailleurs. Enfin, mignonne à sa manière, car ce n’était pas une femme banale, à vue d’œil. Le contraire de Wun. Il passait très bien dans le rôle d’étudiant banal.

Une fois le dernier étudiant sorti, et le dernier lèche botte, venu sans doute poser la même question pour la 743eme fois à la prof, sorti, il se dirigea d’un pas trainnant vers le bureau.
Un léger sourire amusé au lèvre, il posa ses deux coudes sur le bord de la table, et cherche de ses yeux gris le regard de Maelys.

« Dites voir, ne prenez pas ça comme une critique personnelle mais… »

Il posa son sac par terre, trop lourd, visiblement pas décidé à débarrasser le plancher, et tant pis si elle avait autre chose à faire –lui aussi, il avait autre chose à faire… Mais ça attendrait.

« J’avoue que le liens entres les cours d’architecture et la section des recherches internationales m’échappe. Va falloir m’expliquer m’dame…m’dame comment ? »

Pourtant, l’explication était simple et tenait en trois mots : trompé. De. Cours
Mais le fait qu’il y ait des cours d’architecture dans sa section et qu’il ne soit pas encore au courant ne l’étonnait guère, il n’avait, jusque là, rien suivi. Un cancre. Un vrai de vrai. En même temps, quoi de plus normal pour quelqu’un n’ayant plus fréquenté les bancs de l’école depuis bien longtemps déjà. C’était une redécouverte. Et même une découverte. La vie estudiantine. Pas mauvaise, comme découverte. Disons que, à l’organisation, il faisait la fête un peu…différemment. Des pokers, des whisky. Parfois ils allaient trainner dans des bordels, même si Misha rechignait toujours à l’emmener avec, prétextant qu’il était trop jeune. Mouais, pas trop jeune pour tuer ceci dit…

Reportant son attention sur la prof, il lui adressa un petit sourire tout innocent avant de déclarer :

« Au fait, je m’excuse encore pour le retard. Vous ne m’en voulez pas hein ? »

Au fond, il s’en fichait qu’on lui en veuille. Tout comme il se fichait de rater son année, bien sur.
Tout en disant ceci, il extirpa son agenda de son sac, vérifiant, plus par acquis de conscience qu’autre chose, s’il n’avait pas un cours après.
Euh…une minute. Il était sensé avoir cours d’anglais là, pas d’architecture. Fronçant les sourcils, il leva le nez vers Maelys.

« Vous remplacez la prof d’anglais ? »

Perdu. Simple confusion de salle… Il faut mieux dormir la nuit, Wun.

Invité

Maelys regarda le jeune homme blond, inconnu au bataillon. Elle haussa les sourcils, tandis que des murmures étouffés lui apprenaient que ce garçon était Wunjo. Et qu'il plaisait aux filles, qui l'observaient avec une admiration teintée d'envie. Elle détestait les phénomènes de mode, surtout quand ils touchaient les garçons, une personne en particulier. Maëlys soupira d'exaspération : elle n'aimait pas non plus qu'on soit en retard. Surtout que, en le détaillant, celui là n'avait pas l'air spécialement frais ! Elle le laissa s'approcher, et durcit son regard, quand il lui donna comme excuse un problème de transport. La plupart des élèves habitaient près d'ici, et venaient à pieds, quand ils n'habitaient pas carrément dans Keimoo. Elle se contenta de lui faire un geste qui signifiait qu'il devait aller s'asseoir, et pendant le reste de l'heure, le garçon lui passa par dessus la tête. Elle n'avait pas que ça à faire de couver les élèves un par un - bien qu'elle ne soit pas contre en aider de temps en temps.

Alors qu'elle les laissait travailler sur une diapositive, elle regarda les élèves d'un regard vide, sans vraiment les voir. Bon, ce soir elle devait sortir, mais qu'importe, ce n'était pas important. Il fallait qu'elle appelle le gouvernement en Russie. L'avantage, quand on a pas vraiment d'amis, c'est qu'on à de comptes à personne. Le problème, quand on est espionne, c'est qu'on doit détailler le moindre de ses gestes à ses supérieurs, pour qu'ils le notent dans un mini-carnet et sachent, si on se faisait tuer, ce qui avait foiré, pour éviter que les prochaines ne se fassent tuer. Bon, Mae était cynique, là, mais c'était presque ça. Du reality-téléphone, un peu. Elle soupira. La sonnerie sembla sonner pour lui dire que le calvaire aller sûrement commencer. Elle commençait à ranger ses affaires dans son sac de cuir, pensive, quand le blond arriva. Wunjo. Il faudrait qu'elle regarde si il avait cours avec elle - mais personne ne viendrait en cours d'architecture si il ne l'avait pas pris au programme, ce n'était pas une partie de plaisir, enfin pas pour ceux que ça ne passionnait pas.

La question la laissa sur le cul. Elle écarquilla un instant les yeux, puis hésita entre rire ou l'engueuler. Elle se dit que les deux, ça ferait hystérique. Alors elle ne fit rien que l'observer, en se disant qu'il pourrait se rendre compte de sa connerie tout seul. Erreur, il semblait s'enfoncer, avec ses questions maladroites, et son air de garçon dans la lune, pas vraiment sur terre. Maelys soupira. Encore des présentations !

" Vous vous êtes trompés de cours, mon jeune ami. Je suis Mademoiselle Wassilli, professeur d'architecture. Seuls mes élèves peuvent m'appeler Maelys. Vous vous êtes donc trompé, car la salle d'anglais est à deux portes de la mienne. Je ne vous en veux pas, mais votre professeur risque de vous en vouloir elle, et pensera sûrement que " je me suis trompé de cours " n'est qu'une excuse ... "

Elle l'observa un instant, puis soupira. Elle lui trouvait un air de petit garçon perdu, et elle ne put s'empêcher de vouloir se montrer gentille, même si il n'avait pas l'air d'être quelqu'un de particulièrement assidu en cours.

" - Allons, je vais vous y emmener, je dirais que vous n'avez pas séché. Je dirai que vous êtes arrivé en retard et que vous vous êtes réellement trompé de cours. "

La menace dans sa voix s'entendait : il n'avait pas intérêt à avoir séché volontairement le cours d'anglais, ou elle ne l'aiderait pas. Alors qu'elle rangeait ses affaires, son portable sonna. Elle fronça les sourcils. On ne la dérangeait pas pour rien, habituellement, et quand elle regarda le numéro et vit qu'il était masqué, elle s'excusa auprès de Wunjo et s'écarta un peu de lui.

" - Allo ?
- Maelys ? C'est Vlad. Toujours au Japon ?
- Bien sûr.
- Bien, c'était pour te prévenir que des Souris ont été infiltrées. Et que le Chat doit se méfier, car l'une d'elle a même infiltré l'Appartement. Ca peut être dangereux, mais le Chat doit se servir de ses griffes, et faire confiance à ses instincts.
- D'accord. "

Quel langage codé de merde ! Tout le monde pouvait comprendre. Maelys réalisa donc qu'un espion était à Keimoo. Elle devrait se méfier, encore et encore plus. Ils n'avaient pas plus d'informations sur ce sujet, ou alors ils la laissaient se démerder, c'était bien leur genre aussi ! Elle regarda Wunjo et lui fit un regard d'excuse. Le garçon lui semblait soudain plus sympathique que ses supérieurs Prenant ses affaires, elle marcha, l'invitant à le suivre, vers la porte de sortie. Elle rejeta ses cheveux en arrière, agacée, et finit par les attacher avec une pince, et roula des épaules. Elle se sentait mal à l'aise de savoir qu'il y avait un espion à Keimoo. Elle s'en doutait, grâce aux informations, mais si ils appelaient, c'était grave. Elle eut un frisson.

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« Hm… Je me sens con d’un coup. »

« Vous ne connaissez pas beaucoup ma prof d’anglais, hein ? »

« Je vous assure, je préfère me faire passer pour mort plutôt que d’essayer de lui exposer la situation, même avec votre aide »

« En fait je préf… »

« Un ennui ? Rien de grave j’espère »

« Vous n’voulez pas aller prendre un verre plutôt que d’aller parler à ma prof ? »

« Un remontant ne vous ferait pas de mal, je crois… »

Invité

Maëlys haussa les épaules. Si il ne voulait pas, elle n'allait pas l'emmerder avec ça. C'était son problème après tout, non ? Même si elle aurait préféré se conduire en adulte, elle se sentait pas d'humeur à vouloir jouer les prof-poule. Elle l'observa quelques secondes, souriant. Non, elle ne connaissait pas sa prof d'anglais, mais apparemment ce Wunjo ne la portait pas dans son coeur - chacun à sa chacune, et des ennemis. Elle se demanda un instant si elle avait des élèves qui la détestait. Elle ne voulait pas cela - elle se montrait cool, non ? Si on la détestait ... Elle soupira. Elle posa son regard doré sur le garçon, quand son portable sonna. Elle répondit. Elle préféra répondre assez court pour qu'il ne se doute de rien. Tant qu'à faire, autant ne mettre de puce à l'oreille de personne - d'un élève ou d'un chien, une puce c'était toujours très embêtant ! Ca grattait et ça titillait.

Elle secoua la tête. Le garçon s'inquiétait. Elle répondit donc par la négative à cette gentille attention - ou simplement à cette curiosité mal placée.

- Pas de souci. Rien de bien grave.

Ca dépendait pour qui, hein ! Elle allait devoir se montrer vigilante. Elle l'était déjà, certes, mais elle allait devoir redoubler d'invention pour se montrer discrète quand elle sortait le soir. La prochaine étape c'était quoi ? Le sac à patate sur la tête, et le kidnapping d'hommes d'affaires ? L'idée la fit rire tout bas - l'image d'elle en mode G.I Joe n'était pas très flatteuse non plus.

Maelys jeta un regard étonné vers Wunjo. Boire un verre ?! Il l'invitait à boire un verre ? La suite ne lui plu pas : elle avait l'air ravagée ou quoi ? Elle se refit un visage, et cacha son inquiétude. Elle ne devait pas s'en faire. Elle avait été formée pour tout cela, et elle y arriverait parfaitement, il n'y aurait aucun souci ! Elle eut un éclat de rire enfantin et leva le visage vers Wunjo,qui était plus grand qu'elle.

- Vous m'invitez à boire un verre, moi, une prof ? Vous vous prenez pour qui ? Je n'accepte de rendez-vous que des élèves qui arrivent à l'heure à mes cours. Et puis, je suis surtout attirée par ceux qui y sont inscrits ...

Elle plaisantait bien entendu, et coula à Wunjo un regard amusé. Elle haussa les épaules : pourquoi pas ? Ils étaient tous les deux des adultes consentants à boire un petit coup. Et le gamin avait pas tord, ça ne lui ferait pas de mal ! Un bon petit verre de Vodka pure ... Elle passa la main dans ses cheveux et pénétra dans le couloir. Elle ferma la porte de la salle à clé et se tourna vers Wunjo, l'air ravi.

- J'accepte. Vous êtes donc Wunjo. Mais dites m'en un peu plus sur vous. Ma mère m'a toujours conseillé de ne jamais boire un coup le premier soir avec des inconnus.

Elle fit un clin d'oeil. Maelys eut peur d'en faire trop, mais elle se montrait plus naturelle qu'elle ne l'aurait cru - trop peut-être. Son côté provocant et aguicheur reprenait le dessus - surtout que bon, elle n'avait pas encore eut de plans spéciaux, mis à part l'homme d'affaire, et qu'elle n'irait pas ce soir ni pendant quelques jours à cause de sa couverture. Une présence masculine manquait légèrement. Elle se reprit : ce n'était pas non plus la peine de sauter sur le premier adolescent venu, surtout sur un pauvre retardataire shooté et alcoolique, à moitié bourré.

- Mais vous tiendrez le coup ? Vous avez la gueule de bois, ne niez pas, et un coup n'arrangera rien à votre mal de tête.

Juste une remarque innocente tandis qu'elle farfouillait dans son sac à la recherche d'une pince à cheveux, qu'elle trouva finalement entre une boîte d'allumettes et un paquet de tabac parfumé. Elle attacha ses cheveux en une masse savamment décoiffée, puis se tourna vers Wunjo.

- Vous connaissez un bon bar, j'espère ? Je viens d'arriver, et je ne connais pas trop le coin. Ha, sur un point. Une fois sortie de ma salle, je deviens juste Maelys. Pas de professeur, ni de vouvoiement. Juste un conseil.

Elle sourit à Wunjo. Il était gentil. Le hasard se plait à rapprocher des personnes qui ne devraient pas l'être. Si ils savaient qui ils étaient, l'un l'autre, ils n'auraient pas réagis ainsi. Mais aucun des deux ne savaient qui il avait en face de lui, et ils se conduisaient en parfaits petits espions modèles, discrets et engageants. La suite ne présageait rien de bon - mais des surprises au rendez-vous, sûrement ...

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Honnêtement, Wun s’attendait à ce genre de réponse. Le contraire aurait été étonnant : on ne déballe pas toute sa vie et ses problèmes au premier venu. Quoique…le garçon avait déjà rencontré des cas sociaux de ce genre. Et il ne les aimait pas. Il s’agissait généralement de personne qui n’avait pas encore compris que lorsque quelqu’un vous dit « ca va ? », il se fiche bien de savoir si vous allez ou non. Une simple marque de politesse. Et là de même. Certes, il était curieux, mais pas naïf au point de croire que Maelys allait se jeter en larmes dans ses bras et lui raconter sa misérable vie. C’aurait été décevant d’une femme si…élégante ?

« Tout va bien alors » répondit-il, encore une fois, plus par convenance qu’autre chose.

Autant passer à autre chose. Il avait fait passer le message : vous avez l’air abattu. Et elle l’avait réceptionné, puisqu’elle sembla instantanément reprendre du poil de la bête. Ou, à défaut, elle était très douée pour dissimuler ses préoccupations. Ce n’était pas à exclure, lui-même était très doué à ce petit jeu là. A croire que tous les espions avaient été formés dans le même moule. C’était sûrement le cas, d’ailleurs…

Le chapitre étant clos, il se permit de l’inviter à boire un verre, et ce, le plus naturellement du monde, comme si c’était chose courrante d’inviter ses professeurs. En même temps, des professeurs, il n’en avait pas eu beaucoup. Plus de cours depuis 10 ans, comment voulez vous qu’il y connaisse quoique ce soit à ces fichues convenances ?
Mais le regard étonné de Maelys lui confirma rapidement : non, ça n’était pas chose à faire en « temps normal ». Tant mieux, ils n’étaient pas en temps normal. Ils étaient, tous deux, en période de stress et d’appréhension. Mais ça, chacun l’ignorait. Situation amusante, en fin de compte.

Première réaction de Maelys. Wun lui répondit par un air malicieux. Ayant bien compris la plaisanterie, il décida, malgré tout, d’y répondre, avec un faux semblant de sérieux.

« Mm…Admettons que je ne me sois pas trompé de cours. Nous nous serions peut être rencontrés dans un bar : vous n’auriez pas été un professeur, et moi pas un étudiant. N’est-ce pas ? »

Il esquissa une petite moue, glissant sa main dans ses cheveux blonds pour les remettre à peu près en place.

« Imaginons que ça se soit passé ainsi, et plus rien ne pose problème. »

Wunjo avait toujours une solution à tout. C’était ça aussi, d’être espion. Aiguiser son esprit pour s’adapter à toutes les situations. Et cet esprit aiguisé, il allait en avoir rudement besoin dans les jours à venir. Autant l’y entrainner. Le garçon eut un petit sourire. Déformation professionnelle. Voilà que dans chaque moment de détente qui s’offrait à lui, il voyait l’occasion de s’entrainner en temps qu’espion. Ca devenait maladif. Obsessionnel. En même temps, il y avait de quoi en faire une obsession. La perspective de pouvoir, à tout moment, rencontrer l’espion, était plutôt inquiétante. Qui sait ! Peut être que c’était cette prof ? Et voilà. Il paranoïait déjà.
Le blondinet secoua légèrement la tête, dans le but de chasser ces idées sombres.

Il la suivit ensuite dans le couloir, l’observant avec intérêt, attendant la suite des évènements. La réponse « sérieuse », après la réponse « humoristique ». Et là voilà qui arrivait. Le garçon éclata d’un petit rire en entendant l’ainé des deux lui répondre ceci. Elle avait de l’humour. Le « autour d’un verre », si elle l’acceptait, risquait d’être amusant…

« Mm…Je m’appelle Wunjo Ivanova, plus connu en salle des profs comme étant ‘le cancre’ je pense. Je suis, comme vous l’avez remarqué, un retardataire invétéré. Je n’ai aucune éducation, et aucun sens de la hiérarchie. Preuve en est : je vous invite à boire un verre. »

Il lui adressa un sourire énigmatique. Jusque là, il n’avait étalé que des faits qui devaient déjà, plus ou moins, être à sa connaissance. Maelys avait l’air maligne, elle avait du deviner tout ceci.

« A part ça j’ai 19 ans. Je viens de Russie. »

Ca, elle ne l’avait peut être pas deviné. Il n’avait pas l’accent russe, car on l’avait entrainné à parler un japonais et un anglais irréprochable. Son prénom était norvégien. Seul son nom avait put l’éclairer sur ses origines.

« J’aime inviter les jolies femmes à boire un verre, pour m’entendre dire qu’on leur a conseillé de ne pas boire un coup un premier soir avec un inconnu, et pour leur répondre, le plus simplement du monde, que je ne suis plus inconnu, et que nous ne sommes pas le soir, donc tout s’accorde, non ? »

Oui, le garçon avait du culot. Ou plutôt, non : il avait un sens assez tordu de la politesse et de la courtoisie. Résultat : il osait là où les autres jouaient les timides. Il avait un recul remarquable qui lui permettait de jouer avec les mots et les situations à son bon vouloir. C’était une de ses qualités. Ou bien un défaut, tout dépendait si on aimait les esprits vagabonds et retords comme le siens. Ce n’étai, bien évidemment, pas le cas de tout le monde, et même le cas d’une petite minorité. La meilleure minorité, vous dirait Wun.

Maelys le sortit de ses pensées en faisant une petite remarque sur son état disons…peu glorieux.

« Ne vous en faites pas, j’ai une bonne endurance » répondit-il, un sourire amusé se dessinant sur ses lèvres.

Ce qui d’ailleurs, été vrai. Il avait déjà enchainné des cuites en étant en pleine gueule de bois. L’etat au final n’était pas fameux, mais l’expérience était amusante et à recommencer. De toute façon, il ne s’agissait pas là de se bourrer, il s’agissait d’un simple petit verre. Ca ne lui ferait pas de mal.

« J’ai ça dans le sang » ajouta-t-il, en tapotant l’endroit où était supposé battre son cœur.

Sang de norvégien, à la base, mais mêlé à du sang russe. Le cocktail idéal pour une résistance adaptée.

« Et puis, vous savez ce qu’on dit : Traitons le mal par le mal »

En tout cas, lui, c’est ce qu’il disait. Et mieux ! C’est ce qu’il faisait.
Dernier problème à régler : l’endroit. Oui, c’était bien beau d’inviter les gens, mais mieux valait savoir vers où on se dirigeait. Et ça tombait bien : c’était le cas du jeune russe.

« Je prétends même connaître TOUS les bons bars » répliqua-t-il, avec un sourire amusé

Et pour le coup, ça n’était même pas de la vantardise. Si quelqu’un avait bien fait tous les bars du coin et pouvait les classer par prix, par genre, par ambiance, c’était bien lui. Il avait différents critères bien sur : il jugeait en tant que dealer, en tant que consommateur, en tant que fêtard, en tant qu’alcoolique, en tant que prédateur en chasse. Mais en tout cas, des bars, il en connaissait.

Il répondit au sourire de Maelys par un sourire en coin. Bien. C’était bien qu’elle l’ait précisé même si, honnêtement, il en aurait probablement pris l’initiative en absence d’invitation à le faire.
Hissant son sac à dos sur son épaule alors que celui-ci glissait , il se dirigea lentement vers la sortie du couloir qui donnait accès à tous les amphis de l’académie., s’arrêtant juste devant la porte.

« Message reçu 5 sur 5… »

Hop, un pas en avant, et le voilà qui se retrouvait au dehors.

« …Maelys »

Charmant prénom, doux à la prononciation. Il se plaisait déjà le murmurer.
Et une leçon d’intégrée. Comme quoi, quand la leçon était intéressante, Wun savait écouter, et appliquer immédiatement l’enseignement. Il fit encore quelques pas, s’immobilisa, et attendit sa charmante compagnie. Il en profita pour observer calmement la femme. Elle n’avait pas l’air bien vieille. Sans doute une toute nouvelle fleur dans le jardin des enseignants. Mais sophistiquée. Ca lui donnait un certain charme, cet air mature, cette tenue correcte, trop correcte vous aurait dit Wun, cette coiffure rangée mais naturelle. Le blondinet eut un sourire presque imperceptible, se disant qu’il serait peut être plus ouvert à l’enseignement avec une telle prof. Se disant aussi qu’il serait peut être moins farouche avec les femmes si on l’entourait de gens comme ça. Forcément, un environnement de vieux mafieux macho, on avait vu mieux pour un bon développement.