'Tendez là... C'pas l'parc d'attraction !!! [PV Lanaru]

L'hiver a toujours été la saison préférée de Lanaru Minouska. Lorsque le ciel se nappe de gris cotonneux et que les légers flocons blancs dansent dans l'air froid, se déposant sur une herbe cristallisée de givre. Si loin de sa toundra natale, si froide et si féroce, il palliait à ce manque en attendant chaque nouvelle tombée de neige avec une tendre mélancolie. Et c'est le nez levé vers le ciel, laissant les flocons tomber sur son visage et y fondre aussitôt en une petite goutte froide, qu'il marchait ce jour là.
Des enfants passèrent à côté de lui, se courant après, dérapant sur la neige et il tourna un instant la tête vers eux, mélancolique de les voir jouer et rire, en se jetant des poignées de neige plus que de véritables boules.
Un instant, sa marche se stoppa et il resta sur ce coin de trottoir, une expression attendrie sur ses traits fins. Ce petit spectacle de bonheur était en soi une musique, une note cristalline s'élevant vers le ciel bas.

Sa marche reprit, ses pieds chaussés de bottines noires foulant la neige blanche devenant boueuse de trop de pieds la piétinant. Les rues étaient noires du monde d'un samedi après-midi. Les étudiants passaient en groupes compacts et soudés qu'il évitait en descendant du trottoir, frôlé par des vélos sans sembler seulement les voir. Perdu dans son monde, le russe semblait être l'un de ces personnages évanescent, déjà un peu fantôme, encore un peu mortel, flottant entre deux eaux.

Il se sentait à la fois fatigué et apaisé par cette neige inlassable qui masquait toutes les souillures du monde. Il aimait la voir avaler, engloutir cette ville trop grande. Il aimait voir les pointes de gratte-ciel disparaître sous les nuages, gobé par la météo que beaucoup jugeaient déplorable et que lui jugeait trop clémente. Oh, pitié, que le blizzard se déchaine, que les loups hurlent. Que tout s'écroule, soit engloutit par la fureur des éléments, que son cœur soit apaisé du déchainement de cette nature cruelle.

Il marchait sans but, errant dans cette ville étouffante, avec dans le cœur un mélange de douleur et de paix. Sur un panneau publicitaire, son image démesurée pour une marque de parfum de grand prix lui paraissait abstraite, totalement détachée de lui-même, de cette mince silhouette dansante dans les rues. On ne le reconnaissait pas vraiment. Et pourtant, plus grand en taille que la plupart des japonais, blond aux yeux verts, il se démarquait comme une goutte de sang sur la neige. Quelques têtes se tournaient vers ce jeune homme fantomatique. Une longue jupe de toile crème s'imbibait de neige fondue, se souillant de la pollution qui rendait gris ce tapis blanc.
Son manteau de feutre brun le réchauffait et l'écharpe de grosse laine blanche protégeait son cou. Les longs cheveux tombant sur ses reins s'humidifiaient, s'emmêlaient et perlaient de cristaux fondus.
Une femme ? Un homme ? Ni l'un, ni l'autre. Et Lanaru, las de ces regards dérobés, monta dans le premier bus croisé, sans choisir de destination.

Trois arrêts et il descendit, lassé de sentir des mains baladeuses s'insinuer sur lui. Pressé par cette foule anonyme et sans visage, il éprouvait une peine violente à respirer. L'odeur rance de transpiration et de parfums bon marché le crispait et avait des relents de souvenirs noirs. Il se retrouva sur un boulevard inconnu, sans même s'en soucier. Il continua de marcher, indifférent à la neige, aux parapluies brandis et aux éclaboussures sales sur son jupon alourdis du poids de la neige fondue.

Dansant sur ces rues linéaires, ignorant des bâtiments clairsemés, il n'était pas vraiment dans ce monde-ci. Cela faisait des heures qu'il marchait sans fatigue, simplement soulagé d'être ici, sans craindre autre chose que le froid, qui était un ami fidèle.

L'église. Anachronique dans une ville japonaise où la population est à majorité bouddhiste. Le bâtiment ne possédait aucun charme ancien propre à de tels édifices. Ce n'était qu'une pâle copie moderne à laquelle il adressa un regard courroucé. L'Eglise semblait être une verrue dans ce paysage de neige avec sa façade crépie d'ocre jaune. Déjà, le crépuscule s'annonçait, la lumière moribonde donnait à la moindre chose des allures spectrales. Mais ce bâtiment ne paraissait que plus piteux, au lieu d'en être grandiose et il le dépassa en le maudissant dans sa langue.

Il n'y avait plus de piétons, plus de trottoir. Les arbres se dressaient de part et d'autre du chemin couvert de neige blanche s'assombrissant. Ce pur tapis fut foulé par les bottines trempées. Et les yeux verts brûlaient d'une flamme paisible. L'horizon dégagé était comme une route à suivre. Il voulait marcher, quitter tout ce qu'il côtoyait désormais pour rejoindre sa Sibérie tant aimée et les fantômes, tâches sanglantes sur une neige trop blanche.

Il suivait son instinct l'appelant au delà de murs sombres, poussant un portail refermé. Un cimetière. Lieu chéri entre tous. Les yeux verts s'adoucirent, plissés avec tendresse alors qu'il posait son regard sur chaque stèle. Même elles étaient différentes, ici. De formes étranges, faites de bloc de marbres empilés, les noms s'alignaient en caractères qu’il ne savait pas encore tous lire de la bonne façon ou tout simplement lire. Les fleurs déposées dans les vases avaient fanées depuis longtemps déjà, grillées par le froid, gisant en une vision triste de tombe abandonnée, exprimant si bin la pourriture à laquelle tous seraient condamnés.

Lanaru ne savait pourquoi ce lieu entre tous l'avait attiré à lui et il murmura dans le jour déclinant, souriant aux esprits des défunts.

Lequel de vous à fait appel à moi ?

Un sourire amusé jouait sur ses lèvres. Et aucun mort ne lui répondit. C'était un vivant qu'il devait rencontrer et le jeune shaman le savait parfaitement. Il le devinait sans peine aux traces à peine visibles encore qu'il s'amusa à suivre, y posant ses propres pieds.

Parcourant le cimetière sur le rythme d'un inconnu, entrecroisant dans sa pensée deux nouveaux fils d'un destin aléatoire, le mannequin songea qu'il aurait dû déjà être rentré à l'école. La lumière s'abaissant lui laissait croire qu'il était déjà la fin d'après-midi. Bientôt il faudrait rentrer, pour manger, pour ensuite réviser et se coucher. C'était si étrange d'être étudiant ! Et apaisant. Ils semblaient tous si insouciants et si malheureux de l'être...

Un sourire. Il l'avait trouvé.

Un jeune rouquin, l'air verdâtre de peur, semblait attendre un miracle, ou une solution tombée du ciel. Peut-être avait-il raison, puisque Lanaru Minouska était parvenu jusqu'à lui.

Le russe eut un souvenir indulgent. Etais-ce donc pour venir le chercher, lui, qu'il avait arpenté toute la ville ? Cela en vaudrait peut-être la peine. Qui d'autre que Lanaru Minouska pouvait ainsi apparaître, tel un esprit paisible plus matériel que les autres ?

Ses yeux verts n'étaient que douceur et un sourire indulgent étirait ses lèvres lorsqu'il se stoppa enfin. A quelques pas de l'étudiant tremblant.

Pour sortir d'un cimetière, on suit une allée. Puis on tombe sur un mur qu'on longe et en général on retrouve le portail. On n'attend pas de mourir de froid et que les Ames errantes aspirent ta raison. Allons, il est encore temps.

La voix du mannequin était d'une douceur exquise, chaleureuse comme un rêve. Et, tendrement, il se pencha vers ce jeune homme inconnu à l'œil masqué. Il l'avait trouvé, il lui incombait donc de le ramener. Car il était le Fils de l'Aurore.

Le jeune homme blond dénoua son écharpe et la passa délicatement autours du cou de son vis à vis en une série de gestes doux, pour ne pas l'effrayer. Une bourrasque éparpilla sa chevelure dorée, qu'il rejeta vers l'arrière, remontant le col de son manteau.

Le jour était mourant, bientôt, il faudrait être partit. Le jeune homme fit un pas et se retourna, souriant, attendant que le suive cet étourdi.
Il fallait maintenant repartir. Il n'avait pas besoin de connaître le chemin.