Il se réveilla en sursaut, des sueurs froides sur les tempes et dans la nuque, la respiration courte. Son esprit était embrumé, ses yeux le picotaient, la gorge sèche râpée par la moindre inspiration. S'il ne se rappelait pas avec plus ou moins de précision la cuite qu'il serait pris la veille, Wunjo aurait pensé être malade. Mais non, ce n'était que les méfaits de l'alcool en action. S'il y avait bien une chose que le russe avait appris dernièrement, c'était que si l'alcool parvenait avec succès à faire taire la conscience, les pensées, et donc dans son cas à l'aider à s'endormir, il ne muselait pas les rêves et les cauchemars, n'assurait pas de nuits longues et reposantes, et promettait toujours des lendemains pénibles. Mais comme en attendant c'était sa meilleure assurance contre l'insomnie, il avait décidé de supporter les effets secondaires indésirables.
Il se redressa dans un gémissement rauque que ses voisins avaient probablement entendu s'ils n'étaient pas profondément endormis. Il n'avait jamais vu un motel aussi mal insonorisé... Pour l'esprit communautaire, c'était assurément le top : on partageait tout avec ses voisins. Mais très honnêtement, à ce moment précis, ses voisins, Wun ne pouvait pas d'avantage s'en foutre. Il traîna les pieds jusqu'à une bouteille d'eau dans l'espoir de calmer le feu dans sa gorge. Il la déboucha, en avala une gorgée, la recracha immédiatement par terre et en partie sur lui : ça, ce n'était pas de l'eau. Il retenta sa chance à l'évier de la salle de bain : le goût était franchement degueulasse mais toujours mieux que de la vodka à 6h du matin. Il aurait donné cher pour un café, mais n'avait pas la foi pour se traîner dehors pour le moment.
Il enleva son pull dont l'odeur de vodka lui donnait la nausée, le troquant contre un pull remarquablement identique : pour sur, quelqu'un se donnait un mal fou pour avoir l'air le plus banal et passe-partout possible. Heureusement que Keimoo était une ville plutôt cosmopolite, sinon autant dire qu'avec des cheveux blonds il était plutôt grillé au milieu des japonais. Et se fondre dans la masse, c'était essentiel. Sur le vol entre Oslo et Dubaï, il se souvenait avoir été on ne peut plus lambda avec ses cheveux blonds, sa peau claire et ... Bon il avait tout de même mis des lentilles, les yeux vairons marquent trop les esprits. Dès son arrivée à Dubaï, il avait cherché un endroit tranquille pour enfiler une perruque brune et changer ses lentilles. Le but ? Être le plus invisible possible. Et il s'en était plutôt bien sorti. Il avait préféré les perruques au teinture capillaire, cela lui permettait de changer d'identité beaucoup plus vite et plus souvent.
Finalement, à bien y réfléchir, ce n'était pas de se cacher qui avait été le plus difficile. Non, le plus dur c'était d'avoir renoncé à ce qui lui était cher, à ces gens à qui il avait raconté son histoire et qui ne l'avaient pas repoussé. Mais il était égoïste de penser revenir vers eux : pour sa mission aussi stupide que suicidaire, il valait mieux faire cavalier solitaire, il ne ferait que les mettre en danger en reprenant contact avec eux. Il n'avait cependant pas pu s'empêcher d'essayer de prendre indirectement de leurs nouvelles : ça avait au moins ça de bon d'être un ancien espion, se renseigner sur les gens était presqu'une seconde nature. Évidemment, il ne s'était pas attendu à heurter un mur dans ses recherches en constatant que ET Ethan ET Yoite avaient tout bonnement disparu de la circulation. Et sans lui en toucher un mot... Bon certes, il avait commencé à jouer le mort le premier, mais ça ne le réconfortait pas franchement. Kuro aussi était introuvable, si bien que Wun commençait à douter de ses capacités d'enquêteur... Il avait aussi été rodé du côté de ce qui était, un jour, l'appartement d'Akim, mais qui semblait déserté, mais ça, ça ne l'étonnait pas tellement : il avait les moyens de l'organisation et la connaissance du métier pour s'évanouir dans la nature, et depuis leur dernière entrevue -où Wunjo complètement ivre avait vomi sur son Perron pour ensuite essayer plutôt lourdement et sans succès de le convaincre de se barrer de l'Organisation- le blondinet doutait quelque peu que son faux frère et vraiment envie de voir sa tronche...
Il soupira en se passant de l'eau dans la nuque et sur le visage, n'osant affronter son reflet et son air mi-hagard, mi-réprobateur. Ca irait mieux dans quelques heures et quelques litres d'eau. Dans quelques semaines, quelques mois, quelques années. Combien de temps pour orchestrer une vengeance digne de ce nom sans y laisser sa peau ? Combien de temps pour clore un chapitre interminable ? Combien de sang versé et d'innocents éclaboussés de ce sang impie pour parvenir à ses fins ? Il aurait voulu avoir la réponse, mais si les hommes ivres pensent détenir toutes les réponses, les hommes avec la gueule de bois ont déjà chassé cette illusion. S'il avait conscience de ne rien faire avancer, et surtout pas sa cause, en enchaînant les cuites ? Peut être. Sûrement même. Mais vous connaissez sûrement mieux que personne le principe des bonnes résolutions : il est toujours bon de les remettre au lendemain, desfois qu'une meilleure résolution pointe le bout de son nez entre temps. Il arrêterait ses conneries demain. Et puis... hey ! Il ne faisait pas que boire, il gagnait son argent de poche au je, et de l'argent de poche, il risquait d'en avoir besoin d'un sacré paquet pour son grand projet : après tout, on ne bute pas un parrain de la mafia avec des cure-dents et un pistolet en plastique....
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